ROMORANTIN B : LA FIN D’UNE LEGENDE
par Jean Rosen et Henri Galinié
On se plaît aujourd’hui encore à raconter la belle histoire de ce cépage qui aurait été choisi par François Ier pour en faire le « vin du roi » dans le domaine qu’il avait envisagé de fonder à Romorantin avec l’aide de Léonard de Vinci, avant d’aller s’établir à Chambord. Fort de l’attrait touristique de la légende, le domaine de Chambord a tout récemment réintroduit le cépage romorantin sur une parcelle plantée sous François Ier cinq siècles auparavant…
Cette histoire trouve son origine dans l’archive en date du 22 mars 1518 qui parle d’un [Achat et envoi de] Quatre vingtz milliers de complan de Beaune /…/ depuis ladite ville de Beaune jusques au port de Digoyns et dudit port jusques en la ville de Tours et dudit Tours jusques en la ville de Romorantin où icelluy complan ledit seigneur a ordonne estre planté.
Hélas, trois fois hélas, il faut se rendre à l’évidence : une étude récente et très approfondie d’Henri Galinié, ancien directeur de recherche au CNRS et trésorier de notre association, vient mettre fin à cette légende encore très répandue. Dans son article « Les noms Framboise, Dannery, Romorantin (1712-1904) », que l’on peut trouver en ligne à l’adresse https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01436142, il démontre que les 80 000 plants commandés par François Ier en 1518 sous le nom de complants de Beaune étaient en fait une variété de pinot noir, dont plant de Beaune était alors un synonyme répandu. En 1372, Eustache Deschamps parle ainsi de ce droit plant de Beaune, Qui ne porte pas coulour jaune, Mais vermeille. Ce cépage blanc issu, comme beaucoup d’autres, du croisement entre le pinot noir teinturier et le gouais blanc, est apparu successivement sous la forme de trois synonymes : Framboise dans l’Orléanais en 1712, Dannery dans le Bourbonnais et le Cher à la fin du siècle, et enfin Romorantin, plus tardivement encore. Dans l’enquête préfectorale très complète conduite de 1801 à 1804 qui signale les cépages plantés dans le département du Loir-et-Cher, on ne trouve aucune trace de Romorantin, qui apparaît seulement dans les années 1830, répandu dans le Blésois et la Sologne au milieu du XIXe siècle, notamment à Cour-Cheverny. Par ailleurs, aucun des auteurs du XIXe siècle ne fait référence à cette explication pour justifier la présence de ce cépage dans le Loir-et-Cher. Elle a donc été forgée au XXe siècle.