Rencontres des cépages modestes

DÉFENSE ET ILLUSTRATION DES «  CÉPAGES MODESTES  » (1)

Rencontres des cépages modestes 2011

Samedi 29 octobre 2011

Troisième débat - 1ère partie

(voir 2de partie)

Michel Grisard, vigneron, Fréterive (M. G.)
Pascal Jamet, vigneron, Arras-sur-Rhône (P. J.)
Anne Déplaude, vigneronne, Tartaras (Anne D.)
Robert Plageoles, vigneron, Cahuzac-sur-Vère (R. P.)

Aimé par André Deyrieux (André D.) et Jean Rosen (J. R.)

Enregistrement André Deyrieux (Persan), transcription Anne-Marie Rosen (Durezza) mise en forme Denis Wénish (Pinot gris) et Jean Rosen (Petit Verdot) relu par Michel Grisard

Michel Grisard : La pépinière viticole est une production importante en Savoie, le deuxième département, après le Vaucluse. Frèterive est un petit village de 400 habitants, et un gros producteur de plants de vigne : c’est ce qui m’a amené à connaître Galet. C’est un peu bizarre : le « Galet » de mon père (Le dictionnaire des cépages français) n’était pas un livre d’images, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais pour moi qui n’avais que huit ans, en 1956, l’auteur ne pouvait être que mort, ou très très vieux ! Et puis j’ai eu le plaisir de le rencontrer : c’est quelqu’un d’intéressant, très passionné, passionnant, et controversé, comme on verra plus tard.

À l’école, à l’INRA et à Montpellier, Galet s’est mis à dos pas mal de personnes, surtout dans l’administration. Il voulait impérativement que son gros fonds documentaire dont je vous parlerai tout à l’heure ne reste pas à l’Éducation Nationale, car son herbier, constitué durant toute sa vie, était dans un sous-sol d’école, et la dernière fois qu’il l’a vu, il était plein de poussière, les élèves n’y avaient plus accès, et toutes les bases de la viticulture sont ailleurs et plus dans ce travail fondamental qu’il estime. Il a donc déposé une partie de ce fonds documentaire à Vinezac, en Haute Ardèche. Malheureusement, l’association constituée avec une autre association et la mairie pour préserver ce fonds a cessé de fonctionner faute de budget.

Je suis allé à plusieurs réunions à Vinezac, guidé par mon intérêt pour les cépages et par mes liens viticoles, et quand j’ai su que ce fonds documentaire était à l’abandon, on s’est dit : pourquoi ne pas le ramener en Savoie ? Deux principaux responsables, liés à cette petite association, Gilbert Nicaise et Roger Raffin, faisaient partie de la cheville ouvrière de ce projet. Gilbert Nicaise, technicien vigne et arboriculture à la Chambre d’agriculture de la Loire, a permis l’introduction du viognier à Condrieu et la rénovation du Condrieu. Roger Raffin, lui, était technicien dans le Rhône et s’occupait plus de semences potagères et de maraîchage. Ils étaient des soutiens du fonds documentaire, et quand je les ai appelés en disant : « Voilà, on le ramène en Savoie... », ils ont tout de suite été d’accord. Roger Raffin a été notre premier président jusqu’au 31 décembre 2010. Retraité et passionné, il a travaillé énormément, et a dû consacrer à ce travail au moins cinquante pour cent de son temps. C’est lui qui a réintroduit la mondeuse blanche en Savoie en 1985. Il existait des écrits sur ce cépage en Savoie, où il semblait bel et bien avoir disparu. Il est donc allé chercher à Montpellier des greffes, des sarments de mondeuse blanche, qu’il a fait replanter à un vigneron à côté de chez lui. Il n’y avait alors que deux souches en conservatoire à Montpellier ! Certes, en 1985, il aurait fallu en chercher d’autres : il y en avait encore dans la nature, dans les vignes qui ont été arrachées depuis, mais nous sommes, toujours, arrivés un tout petit peu trop tard. On n’a donc que ces deux souches, et on en est à rechercher d’autres souches pour augmenter la biodiversité. Je pense que nous en avons trouvé une, mais il nous reste encore des confirmations ADN à faire.

J’ai un peu raconté pourquoi je suis président du Centre d’ampélographie. Pascal Jamet en est le secrétaire depuis le 1er janvier 2011. Il a un parcours identique.

P. J. : Pour ma part, je suis installé depuis une dizaine d’années dans le nord des Côtes du Rhône, en appellation saint-joseph, un secteur de monocépage syrah. L’appellation a permis, sur ces coteaux non mécanisables où le travail devait être fait à la main, de réimplanter le vignoble qui avait disparu. C’est une chance que de pouvoir replanter et réinstaller du vignoble. Par contre, en termes ampélographiques, on a quand même appauvri le potentiel génétique de la région, parce qu’il n’y a qu’un cépage qui fait l’appellation, et donc tous les cépages annexes qui se trouvaient un petit peu dans la nature, comme par exemple le durif, le durezza, ou dans d’autres secteurs le mornen noir ou d’autres, tout ça a disparu ou est en voie de disparition. Parallèlement à mon installation, j’ai travaillé pendant une dizaine d’années à l’ONIVINS (qui s’appelle maintenant FranceAgriMer après avoir changé plusieurs fois de nom). Je m’occupais de la pépinière viticole, du contrôle de pépinière, de porte- greffes et ainsi de suite. Ce qui m’intéresse, ce sont les cépages, mais il est difficile d’arriver à faire quelque chose tout seul, même si chacun de son côté essaie de lancer de petites initiatives. Le fait d’avoir réussi à trouver un groupe de personnes motivées par les mêmes centres d’intérêt que moi me permet de me sentir moins seul et d’arriver à faire des choses ensemble.

Donc le Centre d’ampélographie a été créé à l’initiative de Michel Grisard, de Roger Raffin et de Gilbert Nicaise, pour fédérer, pour élargir ce noyau de passionnés, de façon à obtenir des résultats concrets. Le fait d’être plusieurs, d’avoir des liens entre nous, de faire des prospections dans différentes parties du vignoble rhône-alpin, d’avoir aussi des contacts avec, par exemple, le Domaine de Vassal, l’IFV et ainsi de suite, tout cela nous permet aussi d’avoir tout un environnement technique, notamment par rapport aux analyses ADN, et à la reconnaissance des cépages. Nous faisons des herbiers, nous essayons d’envoyer des échantillons à différentes personnes afin d’avoir des reconnaissances de ces cépages-là. Ce qu’il faut savoir, c’est que dans la région Rhône-Alpes, (vous avez peut- être une situation comparable dans certains coins du sud-ouest), il y a des vignes non-commerciales qui sont restées à l’état de petits « édens ampélographiques », avec énormément de cépages variés, notamment dans l’Isère (parce que les autres vignobles ont une activité commerciale et ont plus ou moins épuré un certain nombre de ces cépages qui n’avaient pas d’existence réglementaire). Ainsi, dans l’Isère, on trouve des choses étonnantes, par exemple des parcelles où il y a cinq cents souches de vigne avec une vingtaine de variétés différentes, dont certaines inconnues, qu’on a beaucoup de mal à déterminer.

M. G. : Je voulais quand même qu’on parle de Pierre Galet, un personnage mondialement connu. Il a écrit quarante-six livres, je crois, traduits en à peu près toutes les langues du monde, même en Sanskrit. C’est quelqu’un qui est aussi exigeant pour lui que pour les autres : c’est pour ça qu’il ne s’est pas fait que des amis. Mais c’est un passionné, un gros travailleur. Avec son collègue Agnel, il a codifié la science de l’ampélographie, la reconnaissance des cépages. Avant lui, l’ampélographie reconnaissait les cépages par les familles, mais ce n’était pas technique, alors que lui a vraiment établi une codification bien précise des cépages. À quatre-vingt-onze ans, toujours actif, il voudrait encore faire une encyclopédie des cépages, avec des photos, des exemples. Il est en train de finir son histoire pour ses enfants et ses petits-enfants. Il écrit toujours. Je trouve ça assez extraordinaire. C’est un personnage qui a du caractère, avec un humour assez caustique, tout le temps. Professeur, il adore parler, mais il aime bien partager. C’est quelqu’un qui dit : « Je bois une bouteille de vin par jour ». Il vient aux assemblées générales, en Savoie, par le train, seul, sans problème. Il a perdu sa femme au mois de juillet : elle avait la maladie d’Alzheimer qu’il a assumée complètement tout seul. « Je la garde chez moi, je ne la mets pas dans un mouroir... ». Elle est partie chez elle. Vraiment un gros caractère.

C’est quelqu’un qui garde tout. Il a appris tout jeune à avoir des petites fiches dans sa poche, et quand il découvrait quelque chose, il prenait des notes, sur les cépages, les porte-greffes, etc. Il a un fichier — c’est un peu l’ordinateur avant l’âge — où tout est classé, c’est à dire qu’il a un petit meuble, avec des fiches bristol et des petits tiroirs qu’il sort par ordre alphabétique. Je ne sais pas combien il peut y avoir de fiches, il ne les a jamais comptées, sans doute une dizaine de milliers. La rangée du bas, ce n’est que les porte-greffes, avec beaucoup d’abréviations. Notre souci, c’est d’obtenir qu’il nous explique comment décrypter ces hiéroglyphes. Ce sont de petites fiches sur les cépages du monde entier, et ce serait bien de les saisir ou de les numériser. Dans son dictionnaire des cépages, il en a comptabilisé 9 600, mais il y en a plus que ça, parce qu’il y a tous les porte- greffes dans ses tiroirs du bas. Le fonds documentaire dont je vous ai parlé tout à l’heure, qu’on a réintégré en Savoie, c’est plus de cinquante mètres linéaires de dossiers d’archives, des coupures de journaux, des petites notes de carnets avec des trombones accrochés. Ça commence dans les années cinquante : la viticulture, l’histoire de la viticulture, des coupures du Midi Libre, des événements, des manifestations, etc.... Tout cela est au Musée de la vigne et du vin à Montmélian. Pour nous, c’est un trésor.

Depuis que je suis allé chez lui, je me suis dit, avec d’autres, qu’il y avait un livre à faire sur lui : il a tellement de choses à dire. Il est une œuvre à lui tout seul. Il fallait à tout prix trouver quelqu’un qui fasse sa biographie. Galet a dit : « Je vais vous écrire ma vie, je vais vous expliquer. » Et il a fait, en une centaine de pages, une sorte d’autobiographie, utilisée ensuite par Michel Bouvier qui a publié chez Jean-Paul Rocher, en mars 2010, sous le titre Une vie au service de la vigne, un petit livre avec des écrits de Galet et des références de ses ouvrages. C’est un travail de compilation, mais ça ne nous convenait pas du tout. Alors on a remis à l’ouvrage François Morel, rédacteur en chef de la revue Le Rouge et le Blanc, qui est déjà venu deux ou trois fois pendant plusieurs jours piocher dans ce fonds documentaire. Mais par ailleurs, Galet a chez lui trois pièces complètes de livres, et il en achète encore : tout ce qui sort sur la viticulture, l’œnologie, il achète, il amasse, constituant ainsi un fonds documentaire impressionnant. Et comme il veut refaire son encyclopédie des cépages, il nous dit : « Je ne vous donne pas tout ça parce que je vais en avoir besoin. » Et si on s’inquiète, il ajoute : « Si je meurs ? Pas de problème, on vous expédie tout ça le jour de mon décès ! Mais laissez-moi encore un peu travailler ». Voilà, ça c’est Galet.

P. J. : Ce que nous venons de voir, c’est la partie du Centre d’ampélographie qui est liée à Pierre Galet, parce que nous avons eu la chance de récupérer ce fonds documentaire. Mais à côté de ça, un gros travail a été fait, notamment de relations «internationales» ou en tout cas transfrontalières avec nos voisins alpins, notamment du Valais suisse et du Val d’Aoste, deux vignobles pour lesquels les cépages autochtones ont une vraie valeur et font l’objet d’une réelle politique de valorisation. La plupart d’entre vous connaissent l’intérêt que les Valaisans ont porté à ces cépages-là, notamment la petite arvine, le cornalin, l’humagne, tous ces cépages qui apportent une vraie valorisation à leur vignoble. Il en est de même dans le Val d’Aoste, avec une démarche peut-être un peu plus récente de revalorisation de ces cépages. On a tissé des liens déjà depuis quelques années et ce n’est pas toujours facile à faire vivre. Donc on essaie de maintenir le contact, notamment lors de nos assemblées générales et par la dégustation, ainsi que par des échanges qu’on peut avoir avec eux. Actuellement, il y a un grand projet au niveau européen avec précisément des financements européens, pour des projets à imaginer de chaque côté de la frontière, concernant notamment les conservatoires de variétés autochtones.

L’idée du Centre d’ampélographie est de faire vivre tout ce qui touche aux vieux cépages, en particulier à leur diversité dans notre région, qu’on appelle « l’Arc alpin ». Les projets sont divers, que ce soit au niveau de l’intravariétal ou de l’intraspécifique. Il nous faut essayer de sauvegarder la diversité génétique des cépages type mondeuse, altesse, des cépages qui sont déjà cultivés, loin d’être en voie de disparition, et même plutôt en développement. Mais pour d’autres, on est vraiment au stade de la sauvegarde, comme ça a été le cas pour la mondeuse blanche, vraiment un exemple typique qui justifie le système français de conservatoires, car c’est grâce au Conservatoire de Vassal et au système d’organisation de la viticulture qu’on a pu sauver des cépages comme celui-là. Maintenant, avec toutes les avancées, notamment en termes de génétique, on s’est aperçu que cette anonyme mondeuse blanche était quand même une génitrice formidable puisqu’elle est la mère de la syrah et du viognier ! Ce n’est donc pas un cépage anecdotique, et maintenant on s’intéresse un peu plus à elle, grâce à des gens comme Roger Raffin, qui sont allés récupérer deux ceps à Vassal et qui les ont apportés, on l’a dit tout à l’heure, chez un viticulteur de vin de pays dans un secteur qu’on peut dire... très modeste ! Avec cette mondeuse blanche, ce viticulteur a fait un vin qui a été très apprécié, et il a commencé à avoir une petite réputation. D’autres viticulteurs un peu plus installés de l’autre côté de la rivière Isère, donc dans les régions d’appellation, se sont mis aussi à en planter, avec de belles réussites commerciales. On a donc lancé un système. Comme quoi, même si on peut avoir l’impression d’être un peu à contre courant, d’être des marginaux ou des hurluberlus, nos actions peuvent avoir des conséquences positives pour l’ensemble de la filière.

J. R. : Combien de cépages sont concernés ? Une centaine ?

M. G. : Non, pas tout à fait, mais on a fait des découvertes assez importantes pendant nos travaux. L’association qui préside aux destinées du Centre d’ampélographie est toute jeune, puisqu’elle date de 2007 seulement, mais le travail a tout de suite commencé. Roger Raffin était président et cherchait déjà à réintroduire les vieux cépages, donc on a immédiatement démarré des prospections pour retrouver la mondeuse blanche. Mais on est arrivés trop tard : souvent ça venait d’être arraché. C’était un peu désespérant. Mais ensuite, on a commencé à faire de vraies découvertes. On a travaillé beaucoup avec José Vouillamoz, universitaire- chercheur qui a beaucoup travaillé sur l’ADN des cépages. Il nous a fait les tests ADN, et on a fait des découvertes, par exemple, qui concernent la vallée de la Maurienne. Cela vaut la peine d’être raconté.

La Maurienne, jadis zone viticole importante, n’avait plus du tout de vignes. Son cépage emblématique était le persan, cépage qui, pour Jules Guyot, pouvait être l’égal de certains grands bourgognes (on va pouvoir en goûter, j’en ai apporté). Moi, j’en ai planté en 1999- 2000, bien avant la création du Centre d’ampélographie, quasiment deux hectares sur une appellation d’un vignoble que j’ai recréé dans la Tarentaise en vin de pays, et les gens me traitaient de fou en me demandant ce que c’était que ce cépage. Je leur répondais que je le plantais parce que j’avais lu à son sujet des écrits élogieux. Or, un monsieur qui m’avait une fois apporté une grappe de persan m’a dit quelques années après : « Il existe un blanc, qu’on appelait blanc de Maurienne. Il y a trois souches encore, à tel endroit, telle parcelle, c’est le vin des évêques. » Je lui ai répondu : « Le vin des évêques, ça m’intéresse ». En effet, l’évêché de Maurienne était important, et la résidence d’été des évêques était effectivement dans ce petit village. La vigne en question était une vieille vigne. On marque les souches, on prend des greffons, puis on va les mettre en pépinière. On apporte des sarments à José Vouillamoz. Et un jour, à notre assemblée générale, il nous dit : « J’ai des découvertes, des informations importantes à vous donner : le blanc de Maurienne, c’est la rèze, la rèze du Haut Valais. » À l’époque, c’était un hectare, donc très peu, mais on pouvait déguster les vins, structurés, charpentés, avec beaucoup de plaisir. On l’utilisait aussi pour faire le « vin des glaciers », un vin mythique dont on parle beaucoup dans le Haut Valais. Ce n’était pas un cépage planté dans des coteaux pour faire des grands vins blancs. Il était destiné au vin des glaciers. Si vous tapez sur Internet vous allez avoir des renseignements sur cette sorte de solera qu’ils font avec ce vin blanc là-haut. José Vouillamoz nous disait : « Ce qui est intéressant, c’est que, vu que tout ce qu’on a chez nous est virosé, il y a de l’espoir d’en retrouver pour assainir la sélection. » Voilà l’histoire du blanc de Maurienne. Mais des écrits sur le blanc de Maurienne, on n’en a pas. On a des écrits disant que dans tel terroir, le blanc était extraordinaire, mais on n’a pas d’écrits sur le cépage proprement dit. On essaie d’en trouver ! Ce qui est sûr, c’est qu’on connaît son existence, parce qu’on en a retrouvé une dizaine de souches contre des maisons et dans des vieilles vignes dans des friches, souches qu’on va réhabiliter. Nous allons déposer rapidement un dossier pour sa réinscription au catalogue des cépages. Il faut aussi que je vous dise que Roger Raffin a réhabilité entre autres un grand cépage français, interdit en 1958, qui est la douce noire, de chez nous. On l’appelle le corbeau. Dans le temps, on en trouvait dans la France entière. Il y en a dans le conservatoire de Charente, oùsurtout pour des vins primeurs dans leurs essais de microvinification. J’ai le souvenir de mon père — je ne l’ai jamais vu en colère comme ça —, il revenait de sa pépinière : « Ils sont fous, ils sont fous ! » Les contrôleurs lui avaient coupé sous le greffon 50 mètres de rangs de douce noire. Pour moi, c’est donc une grosse revanche sur la vie de voir à nouveau l’inscription du corbeau au catalogue des cépages, cinquante ans après son interdiction, en 2008. C’est un cépage peu acide, et peu alcooleux, qui, mélangé au persan, donne un vin équilibré, alors que vinifié seul, il tournait souvent au vinaigre, ce qui avait provoqué sa suppression.

Voilà un petit peu l’histoire. On a retrouvé beaucoup de choses, et des choses auxquelles on ne s’attendait pas, des cépages qu’on ne connaissait pas. Par exemple, on a trouvé trois souches de sainte-marie-de-Chignin, dont on n’avait jamais entendu parler. Ce cépage est en collection à Vassal et c’est l’ADN qui l’a déterminé. Pour avoir goûté les grains et connaissant les souches qu’on a retrouvées, je suis convaincu qu’on peut en faire du bon vin. Il y a beaucoup de petites anecdotes comme ça dans le vignoble. On a travaillé avec Pascal depuis 2007, parce qu’il est le technicien dont nous avions besoin. En effet, l’ampélographie c’est compliqué. Même pour nous qui avons beaucoup pratiqué, en pépinière par exemple, la reconnaissance des cépages est vraiment une technique très particulière et difficile.

P. J. : La concrétisation de ce travail, c’est de voir que dans la région, un certain nombre d’autres acteurs s’intéressent à ces questions-là. Anne nous parlera de l’exemple de la Vallée du Gier. Il y a aussi un autre secteur, le Trièves, dans le sud de l’Isère, avec des jeunes comme Thomas Finot qui est dans le Grésivaudan. Il y a également les Balmes dauphinoises, secteur de Bourgoin-Jallieu dans l’Isère, où on a énormément de cépages autochtones oubliés que des jeunes cherchent à mettre en valeur. C’est un travail de recherche, de classement, compliqué aussi au niveau administratif, même si ça c’est un petit peu assoupli. Quand vous êtes tout seul, c’est quand même très compliqué, mais c’est bien mieux d’être en groupe avec d’autres personnes qui s’intéressent à cette problématique-là.

André D. : On a bien noté que l’Isère était un petit éden ampélographique, mais nous allons passer dans un autre éden ampélographique, grâce peut-être à Robert Plageoles, sans lequel ce trésor aurait été laissé de côté.

Robert Plageoles : Peut-être, on ne sait pas. Avant d’entamer le sujet, merci messieurs de m’avoir invité, j’étais ravi d’être dans une telle assemblée, et j’espère que ça va se maintenir jusqu’à la fin des temps. Avant de rentrer dans le sujet, je voudrais, à ces messieurs qui s’occupent de Galet, raconter deux petites anecdotes de sa vie. Vous en parlez en tant qu’ampélographe, mais il faudrait aussi s’intéresser à sa propre vie, si tant est qu’il veuille bien nous la raconter. J’ai deux anecdotes qu’il nous a racontées, à mon épouse et à moi : Galet prend l’avion pour aller au Mexique. Il se pose aux États-Unis. Il loupe l’avion qui va au Mexique. Il prend l’avion d’après, et l’avion qu’il devait prendre s’est crashé dans le désert. Galet a eu la chance de survivre. Deuxième anecdote. Galet part en Afghanistan avec une jeep américaine, un pilote russe et un assistant. Dans la vallée de je ne sais où, le Russe, qui conduisait comme un fou, renverse la jeep, qui tombe dans un ravin. Tout s’éparpille, ils ne sont pas blessés. Ils prennent leur équipement et le guide leur dit : « Écoutez, il faut partir le plus vite possible parce qu’on a une chance de se faire attraper soit par les brigands, soit par la police. Si on se fait attraper par les brigands, ils nous piquent tout. Si on se fait attraper par la police, on nous met en prison et en prison, ici, si la famille ne te nourrit pas, tu es foutu. » Ils sont donc restés pendant plus de trois semaines dans le village en attendant qu’on veuille bien les rapatrier. Deux histoires de Galet parce que la vie de Galet, c’est un monument. Je crois que c’est « plus pire » encore, comme dirait Coluche, que son histoire ampélographique. Il faut vraiment le faire parler, Galet : c’est un personnage passionnant et passionné. Le petit livre qui existe est déjà intéressant, mais dans une biographie, il faut prendre du recul, aller chercher dans ses œuvres, rencontrer le personnage. François Morel est, à mon avis, bien parti pour 400 pages.

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