Rencontres des cépages modestes

LE DEGRÉ, UN PROBLÈME ?

Rencontres des cépages modestes 2011

Samedi 29 octobre 2011

Deuxième débat

 

Anthony Tortul, vigneron, Béziers (A. T.)
Nicolas Carmarans, vigneron, Campouriez (N. C.)
Marie-José Richaud, œnologue, professeur, université de Suze-la-Rousse (M. - J. R.)
Olivier Yobrégat, Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) (O. Y.)

animé par Emmanuel Giraud (E. G.)

enregistrement André Deyrieux (Persan), transcription Anne-Marie Rosen (Durezza), mise en forme Jean Rosen (Petit verdot) et Denis Wénisch (Pinot gris) texte revu par Olivier Yobrégat

E. G. : Anthony Tortul travaille de nombreux cépages qui sont sur des terroirs allant de Châteauneuf-du-Pape au Gaillacois et du Pic-Saint-Loup jusqu’à l’Ariège, avec une grosse partie dans le Lot et l’Hérault et une pointe à Gaillac. Nicolas Carmarans est désormais vigneron à Campouriez. On l’a peut-être connu en tant que patron de bar avec le tablier, les manches de chemise relevées, accoudé au comptoir en zinc du Café de la Nouvelle Mairie, haut lieu du vin nature à Paris, défenseur des vins bio et plus que bio.

Depuis midi, on parle du vin, on parle des cépages modestes avec une approche un peu technique et théorique, mais il faut aussi se rappeler que le vin, c’est fait pour être bu... Pour boire, avant tout, il faut des vins faciles, des vins plaisir, des vins digestes. L’important, c’est la buvabilité : pour trinquer, et puis aussi pour se donner des forces, parce qu’avant, le vin était aussi une boisson énergétique, et si on tue la matière, on n’a plus d’énergie. Donc, il faut des vins vivants. C’est important.

N. C. : On en a besoin; surtout en temps de crise.

E. G. : Au XIXe siècle, on disait qu’il fallait six litres de vin rouge par jour à un mineur.

N. C. : Non quand même pas, mais son litre quotidien, ça ne fait pas de mal, je pense.

E. G. : Quand on est dans la jouissance, dans le partage, dans le vin quotidien, l’important, c’est la digestibilité, la buvabilité. On ne peut pas boire des vins à mâcher en une telle quantité.

N. C. : Non, là on ne peut pas boire son litre quotidien. Tout dépend de la personne, mais moi, j’aime bien boire des vins de soif, des vins faciles. À la maison, le moment où j’aime le plus boire, c’est le matin après ma matinée de boulot, vers onze heures, midi, lorsque j’ai vraiment faim. J’ai de l’appétit, et je dégusterais bien à ce moment-là. Le soir, je bois pour faire la fête, pour trinquer, pour manger, mais l’apéro du matin, c’est superbe. Voilà, il faut donc des vins faciles. On veut parler des degrés : a priori, ici en Aveyron, on a la chance de pouvoir faire des vins avec des raisins mûrs, à des taux d’alcool aux alentours de 12, 13° maximum, en général. Ça, c’est une force qu’il faut mettre en avant : il est assez rare d’avoir des cuvées [de fer servadou] au- dessus de 14°.

Donc, revenons-en à mon premier métier, qui était de revendre du vin à Paris, du vin nature en plus. Si je suis venu vers le vin et si j’ai mis en avant ces vignerons, c’est parce que j’ai senti des gens passionnés avant tout, et ça, c’était fabuleux. Ils ont beaucoup de choses à dire, beaucoup de choses à donner, à exprimer au travers de leur travail, et de son résultat, le vin. Si on aime bien le vigneron, ou même la vigneronne — parce qu’il y a quand même beaucoup de femmes qui font du bon vin —, nous, notre rôle, c’était, comme Jean-Marc Auméras et d’autres peut-être ici, d’être des ambassadeurs, et de mettre en avant leur travail. On avait besoin de ça.

E. G. : Il y a une dizaine d’années, avec les canicules successives — surtout dans le sud, le grand sud, la vallée du Rhône sud, tout le Languedoc, le Roussillon, peut- être même le sud-ouest — on a vu apparaître des vins qui faisaient des degrés absolument épouvantables, des 17, 17,5° ; et encore, c’était quand c’était marqué sur la bouteille. Certains vignerons m’ont avoué, hors micro, en cachette, que ces 17° affichés, c’était des degrés hors taxe, c’est à dire que le vin faisait parfois plus. Il y avait cette difficulté de communiquer sur un vin, et même, par le simple biais de l’étiquette, d’afficher un vin en disant, voilà, c’est un très bon vin, délicieux même, mais il fait 17°. C’est difficile à vendre, un vin comme ça, même dans un café, et difficile à boire surtout.

M.-J. R. : C’est vrai qu’on est beaucoup confrontés à ce problème de degré alcoolique très élevé. Il y a évidemment le réchauffement climatique, et ça, personne ne peut le nier. Il est vrai aussi que dans nos régions où l’on fait surtout des rouges, on est quand même beaucoup à la recherche de la maturité phénolique (1), et l’on se rend compte qu’on a plus souvent un écart entre la maturité en sucre et la maturité phénolique, ce qui fait qu’on attend toujours plutôt la surmaturité. Je crois qu’il y a deux choses qu’il faut prendre en compte. Le début de cet engrenage est très lié à l’appauvrissement de l’encépagement : alors que, dans le décret Côtes du Rhône par exemple, il y a vingt et un cépages cités, aujourd’hui, la plupart des vignerons en ont quatre ou cinq sur l’exploitation, dont le grenache et la syrah, et sur l’Ardéchois, le mourvèdre. Une autre chose qui a beaucoup contribué à l’appauvrissement génétique de la vigne et dont on n’a pas parlé, j’en suis étonnée, c’est quand même la sélection clonale.

Pour revenir sur les vingt et un cépages de l’appellation côtes-du-rhône, quatre ou cinq sont majoritaires, en gros ; les autres sont passés à la trappe ou méconnus, et en voie de disparition. C’est à dire qu’ils sont tous dans le décret d’appellation, mais ils n’ont pas la même valeur. Certains d’entre eux n’ont d’abord pas fait l’objet de sélection pendant très longtemps. Il faut quand même préciser qu’en 1966, toute nouvelle plantation devait être faite à partir de plants certifiés ; donc depuis 1966, on plante en sélection clonale. Alors aujourd’hui, beaucoup de vignerons ont fait marche arrière, et reviennent sur du massal avec tout ce que ça a de contraintes, toute la rigueur que ça exige, parce qu’effectivement, il y a des problèmes de virose et autres. Mais il faut faire la part des choses, ce n’est pas impossible non plus. Les vieux cépages, le vaccarèse, le muscardin, le calitor — qui a entendu parler du calitor ? — le picardan, tous ces cépages-là, au fur et à mesure que les parcelles ont été arrachées — parce que, à un moment donné, il faut aussi renouveler son vignoble —, ont été remplacés par des plants classiques : grenache, syrah, et en blanc, roussanne, clairette. Ces cépages qui avaient une valeur parce qu’ils apportaient de l’acidité, de la structure avec peu d’alcool, chacun avec ses spécificités, eh bien, ils ont disparu.

E. G. : Comment se fait le remplacement, par quel mécanisme le calitor est-il tout d’un coup arraché pour être remplacé par le grenache et la syrah ?

M.-J. R. : Il y a plusieurs mécanismes. Il y a d’abord le fait qu’il faut remplacer sa vigne : on a l’obligation de planter en plants certifiés. Donc, est-ce qu’il y a un clone de calitor ? Je n’en suis pas sûre.

(Salle O. Y.) : Il n’y en a pas.

M.-J.R.:Il n’y en a pas.Bon,donc ça répond à la question. Mais il n’y a pas que le calitor, il y en a un tas d’autres ; après, avec la notion de cépages principaux et secondaires, tout les pouvoirs publics, notamment tout le système coopératif, poussent à ce qu’on plante des cépages dits principaux, et donc, inexorablement, les cépages dits secondaires passent à la trappe.

E. G. : Et quand on dit «poussent», c’est par quel mécanisme ?

M.-J. R. : Lors de la restructuration des vignobles, un vigneron qui veut bénéficier des aides à la plantation et à la restructuration n’aura pas tellement le choix : sa liste de cépages va tout à coup se rétrécir énormément. Un jeune vigneron qui veut s’installer, pour une aide à la plantation, sera obligé de choisir dans une liste de cépages aidés, dans laquelle ne figureront certainement pas muscardin et compagnie... et planter des clônes ...

(Salle) : ... autour de dix mille euros l’hectare ...

(Salle) : Il peut avoir une dérogation quand même.

E. G. : Dix mille euros l’hectare ? C’est le montant de la subvention pour les cépages aidés, c’est ça ?

(Salle) : Moi, je parle au niveau vin de pays. Je ne sais pas pour les AOC...

M.-J. R. : Ça dépend des AOC. Mais c’est sûr qu’on peut planter quand même. Comme dit Monsieur Plageoles, il faut une sacrée dose de courage, et déjà avoir celui de prendre ce risque et de l’assumer. Ça peut être un risque sanitaire, encore que l’on voit parfois des plants certifiés virosés sortis des pépinières, où ces problèmes ne sont pas exclus. Mais cela demande aussi du courage administratif, parce qu’il faut y aller, et demander les dérogations, etc..., ça existe.

obert Plageoles (R. P.) : Vous payez une amende comme quoi vous êtes « pépiniériste » un peu amateur ; ça permet quand même de se lancer, parce que le jour où il n’y aura que des clones, comment pourra-t-on faire marche arrière ? Il faut bien qu’il y ait des gens un peu gonflés pour faire des choses de manière à avoir un autre conservatoire, un autre type de conservatoire...

(Salle) : Un patrimoine.

R. P. : C’est à dire, du massal. Il ne faut pas encaisser la prime, il faut passer outre et payer une amende de principe, étant donné que vous n’avez pas le droit de planter vos propres plants. Mais nous, on le fait depuis vingt ans. Là si vous voulez du massal, vous venez, on en a.

(Salle O. Y.) : La prime, on peut quand même l’avoir s’il n’y a pas suffisamment de matériel clonal. Par exemple, sur des cépages qui recommencent à se développer, il y a des demandes de matériel standard, c’est à dire autorisé à la multiplication moyennant quelques tests sanitaires sur des parcelles identifiées. C’est le cas par exemple du manseng noir qui est en train de se développer. Après, effectivement, il peut y avoir des dérogations pour les primes en cas de manque de matériel avéré. Mais ce n’est pas automatique.

M.-J. R. : Pour le vigneron qui démarre, qui s’installe, il y a parfois ce qu’il aimerait faire et ce qu’il peut faire : ce n’est donc pas qu’une question de courage.

(Salle O. Y.) : Aujourd’hui en France, on recense environ 150 parcelles conservatoires de la diversité clonale — c’est à dire rassemblant un certain nombre de clones de duras, de merlot, etc... — qui représentent de mémoire je crois 25 000 clones en réserve, prospectés dans toutes les régions de France. Ils ne représentent pas tous les cépages, seulement ceux du catalogue en grande majorité, et encore pas tous, mais ce n’est quand même pas négligeable. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’on a un appauvrissement génétique en sélectionnant et en multipliant toujours les mêmes individus, c’est un pléonasme. Mais la parade, c’est aussi de garder les clones en collection avant que les parcelles anciennes ne disparaissent. C’est ce qui se passe, et ce n’est pas négligeable, mais ce n’est pas parfait. Il manque encore beaucoup de cépages à travailler, il y a donc encore beaucoup de boulot.

M.-J. R. : Quand je souligne le problème de la sélection clonale, c’est aussi parce que à un moment donné cette sélection répondait à un vrai problème, qu’on n’avait pas d’autre solution et qu’elle était bonne ; peut-être sommes nous allés trop loin dans ce sens-là et n’avons nous pas laissé assez de liberté pour éviter de perdre certain matériel végétal.

(Salle O. Y.) : Ça dépend des cépages. Il y a des cépages importants, par exemple le pinot noir ou le chasselas, où d’emblée, dès les premiers travaux de sélection, il y a eu une certaine variabilité, c’est à dire un nombre de clones important sélectionnés. Il y a 43 clones de pinot noir, et d’autres cépages sont aussi assez riches (syrah, ...). Pour certains cépages, une certaine diversité a donc été proposée d’emblée, mais pour d’autres, on s’est satisfait d’une sélection au comportement homogène qui allait bien, et dont on s’est contentés pendant un moment avant de reprendre des travaux importants qui sont en cours. Aujourd’hui, la tendance est de proposer un nombre de clones assez important, y compris de cépages secondaires. Dans un premier temps, tous les cépages secondaires inscrits au catalogue vont avoir d’ici encore quelques années au moins un clone agréé, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Concrètement, cela nécessite parfois, dans le cas de certains cépages pour lesquels on ne dispose pas de matériel végétal sain, des travaux d’assainissement par rapport aux viroses graves de la vigne.

E. G. : Le débat s’est déplacé sur la question clonal- massal, mais on y reviendra peut-être plus tard. Revenons à la question du degré et du réchauffement climatique, souvent avancée comme une des causes de l’élévation du degré dans les cuvées actuelles. L’ampélographie du Comte Odard, un texte assez fascinant de 1845, sous- titré Traité des cépages les plus estimés, répertorie environ cinq cents cépages dans tout le vignoble mondial de quelque renom, ce qui suppose une sélection parmi tous les cépages existants. La première partie de ce texte consiste en des réfutations de théories qui circulent sur la vigne et le vin, et notamment sur la question du refroidissement progressif de la température. Il accuse nommément monsieur Arago d’avoir fait courir des bruits absolument sans fondement sur l’abaissement de la température de la planète, phénomène évidemment redouté par les vignerons qui imaginent à très court terme la disparition de la vigne en France. Le Comte Odard réfute cette théorie avec pas mal d’arguments, en disant notamment qu’en Allemagne, où l’on cultivait énormément de vignes, celles-ci disparaissent, mais la situation n’est pas due à la température, puisqu’on trouve en Allemagne beaucoup plus de vignes qu’en temps actuel «non que le climat fût plus chaud mais parce que tout le monde aimait à se griser et qu’on ne connaissait pas encore l’eau de vie». Aujourd’hui on dit donc que le climat favorise le réchauffement et augmente le degré des cuvées. Mais c’est aussi une question d’esthétique : on a d’une part les vins de comptoir, les vins de soif, les vins faciles à boire et délicieux, et d’autre part les vins plus riches qui ne sont pas finalement à montrer du doigt, parce que ça peut être des vins de repas, qui peuvent apporter quelque chose d’intéressant. Je sais que Anthony par exemple, a des cuvées qui affichent allégrement leurs 14°, voire plus.

A. T. : Il ne faut pas confondre buvabilité et ambition dans un vin. Le problème du Languedoc, c’est que c’est une région qui a été souvent décriée, alors les gens veulent faire des cuvées très ambitieuses, très extraites. Un vin est très difficile à boire quand c’est très extrait, très riche à la matière sèche : le problème de la buvabilité vient de là, il ne vient pas forcément du degré. Mais après, c’est sûr que vers les 15, 16°, c’est plus compliqué, avec le manque d’acidité : c’est un travail à la vigne, un travail sur le terroir. On peut avoir des vins très mûrs avec de belles acidités.

N. C. : En tant que consommateur, tu te rends compte que certains vins à 12° sont typés alcooleux. Mais tout n’est qu’équilibre en fin de compte, tout dépend des tanins, du sucre, et on trouve des vins à 15° qui se boivent facilement. L’alcool est un problème, mais pas forcément. Tout dépend des vins.

A. T. : En Languedoc, la mode est aux vins très typés. On recherche des cépages à petits grains, grenache, syrah, carignan, et on a oublié tous les anciens cépages, cinsault, aramon, terret à gros grains, qui donnaient des vins sur des équilibres plus bas et qui permettaient d’avoir des degrés un peu en dessous de ce qu’on a maintenant. C’est vrai que le carignan est un grand cépage qui n’a jamais été décrié, mais on a oublié tous les autres cépages qui amènent moins d’alcool dans les vins. Ils sont aussi intéressants par d’autres côtés, mais ils donnent des profils auxquels on n’est pas habitués dans le sud. Il est vrai que les gens qui boivent un vin du sud veulent quelque chose de concentré. C’est du moins ce que pensent les vignerons — même si ce n’est pas la vérité — et c’est la raison pour laquelle ils vont toujours vers des cuvées ambitieuses, et donc vers l’opposé de la buvabilité.

E. G. : La raison en est peut-être aussi qu’historiquement — c’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui pour beaucoup de caves coopératives — la vendange est payée au vigneron en fonction du degré. Plus le moût est riche et concentré et plus le vigneron va gagner d’argent : il y a donc aussi une course au degré qui se fait instinctivement depuis des générations que les coopérateurs apportent les raisins. Et très peu de coopératives aujourd’hui osent privilégier une approche qui n’est pas uniquement liée au degré.

M.-J. R. : Je pense que beaucoup plus de coopératives que vous n’imaginez ont pondéré leurs degrés hecto avec des critères de qualité autres. En revanche, l’un des problèmes liés aux appellations, c’est qu’on exige que tous les cépages aient le même degré minimum requis. L’aramon est un vieux cépage très fin et très plaisant à vinifier, mais c’est sûr que, même en surmaturité, on ne va pas exploser le degré d’alcool. On n’obtient peut- être pas le degré minimum requis de chaque cépage, et donc il s’est exclu d’autorité des appellations. Le bourboulenc est un autre cépage beaucoup prôné en Vallée du Rhône, même considéré à l’origine comme améliorateur dans les côtes-du-rhône-villages, mais tout le monde y a renoncé parce qu’il faisait tout juste le degré minimum requis. Il est trop au nord, il n’arrivait pas à maturité dans de bonnes conditions en vallée du Rhône, alors que justement, c’est le principal cépage dans le terroir de La Clape.

Cette idée du même degré minimum requis pour tous les cépages en a certainement exclu un certain nombre qui n’avaient plus leur place, puisqu’ils n’étaient pas à la norme analytique. À partir du moment où elle est devenue plus importante que la norme gustative, des modifications se sont faites dans les encépagements.

A. T. : Il y a aussi la question de la complantation. Dans le sud, autrefois, les vignes étaient plantées avec plusieurs cépages mélangés, et donnaient des vins équilibrés dès la vendange. Je pense qu’il est très important de revenir à la vinification de plusieurs cépages ensemble : en général, les fermentations se déroulent mieux, et ça donne des vins beaucoup plus équilibrés, dans lesquels on retrouve le terroir. Parce que les cépages, c’est bien beau, mais à la base, on fait ça pour exprimer le terroir duquel vient le vin ; c’est intéressant de travailler sur un assemblage dès la vigne.

E. G. : Dans son ampélographie, le Comte Odard réfute aussi l’une des théories du XIXe siècle assez amusante sur l’adéquation cépage-terroir en vogue à l’époque, selon laquelle le cépage est complètement transparent : par exemple, un cabernet, transféré en Bourgogne, allait donner la première année un jus ressemblant à du cabernet, la deuxième un vin un peu bizarre, et la troisième, du pinot. Aujourd’hui, combien de cépages vinifiés par Antony Tortul au Domaine de la Sorga ? Une vingtaine, au moins...

A. T. : Presque une quarantaine.

E. G. : Un vrai conservatoire des cépages modestes.

A. T. : Surtout des cépages très peu répandus et en voie de disparition. Je pense qu’un cépage comme l’aubun est très intéressant, car on peut avoir une excellente maturité à 10,5° à mi-octobre avec des grosses acidités, ce qui va donner des vins rouges minéraux bien équilibrés avec des types septentrionaux. Il en restait 300 hectares en France en 92 ... Maintenant, je pense qu’il doit en rester moins d’une centaine. Mais c’est un cépage très exigeant, difficile à cultiver et à vinifier, car il a une forte tendance à la réduction. Les vignerons tendent à s’en débarrasser pour partir sur des choses beaucoup plus faciles, comme la syrah, qui n’a rien à faire dans le Languedoc.

E. G. : Pour faire la transition, entre aubun et counoise, deux cépages assez proches, il y a souvent eu des confusions.

M.-J. R. : Ce ne sont pas vraiment des confusions, mais l’aubun n’était pas dans la liste des cépages des côtes-du-rhône, contrairement à la counoise. Donc, les vignerons appelaient leur aubun counoise, tout simplement. Il est vrai que ce sont des cépages assez proches, mais les vignerons savent très bien faire la différence entre les deux. Tout s’appelait counoise pour des raisons administratives.

E. G. : Marcel [Richaud] qui n’a pas pu venir nous a quand même délégué grâce à vous des magnums de sa cuvée Les Estrambords, une pure counoise de 2009, qu’on a pu boire ce midi et qu’on va reboire ce soir bien évidemment

M.-J. R. : Ce sont des counoises qu’il a replantées il y a cinq, six ans, je crois. Il y a deux territoires où il a des counoises sur des sols assez pauvres de garrigue, et effectivement ce qui l’intéresse dans ce cépage, c’est d’arriver à une maturité phénolique sans avoir des degrés terribles. Mais les deux magnums que j’ai apportés aujourd’hui en sont un peu le contre-exemple, parce qu’ils titrent quand même 15 degrés d’alcool. Comme il voulait faire cette cuvée pure cent pour cent counoise, il a laissé les raisins aller à surmaturité, mais c’est vrai que ce vin garde une belle fraîcheur ; malgré ses 15°, il garde une buvabilité tout à fait intéressante. Il faut bien se dire aussi que entre 12 et 15°, la quantité de vin que l’on peut s’autoriser sans dépasser la limite fatidique pour conduire n’est pas si importante que ça. Mais il est vrai qu’il ne faut pas mélanger buvabilité et degré d’alcool.

E. G. : C’est deux verres, c’est ça?

M.-J. R. : Ça ne change pas grand’chose sur la quantité globale qu’on peut s’autoriser. Mais il existe aussi des gens qui font du vin partiellement désalcoolisé. On peut tomber les vins à 9°, mais c’est pas tout bon, quand même.

A. T. : Ils n’y sont pas encore, car ils sont en plein procès avec les fraudeurs. Je suis allé récemment au bureau des douanes, le dossier Colombette est comme ça. À mon avis, ils n’ont pas encore gagné. Ce qui est un peu dommage, c’est qu’ils ont tenté de faire croire que c’est le terroir qui donnait ça; c’est vrai qu’à Béziers, des chardonnays à 9°, c’est pas trop possible.

M.-J. R. : On est dans une situation où la norme analytique est devenue un peu trop importante. Aujourd’hui, par exemple, il faut des vins colorés. Alors, on a introduit le marselan en encépagement dans la Vallée du Rhône. On perd des cépages comme le muscardin, le calitor et autres, et on introduit du marselan, un métis entre grenache et cabernet- sauvignon. Ce n’est pas un cépage inintéressant, mais on n’avait pas besoin forcément de lui en côtes- du-rhône. Comme l’alicante n’est plus là, il répond à un besoin de couleur, à des critères qui ne sont pas franchement qualitatifs. Que le vin soit très coloré ou non, ça ne change pas fondamentalement beaucoup de choses, mais on est dans un système, avec une norme analytique sur la couleur des côtes-du-rhône et des côtes-du-rhône-villages, donc il faut faire avec.

E. G. : Quand les vignerons se retrouvent face à une année de canicule avec des degrés qui deviennent de plus en plus fous, ils sont tentés de revenir à des cépages anciens comme la counoise, l’aramon en Languedoc ou d’autres qui permettraient peut-être d’avoir des degrés un peu moindres. Mais on peut dire aussi que c’est un risque, car en cas de refroidissement, ou si le climat se dérègle de nouveau dans l’autre sens, on se dit que quand on plante une vigne, on la plante maintenant, mais elle ne produira que dans dix ans, et on est partis pour cinquante ans.

A. T. : Ce qui est intéressant, en fait, c’est la variété, ce n’est pas de revenir qu’à des vieux cépages à gros grains qui sont un peu plus légers en alcool, c’est de travailler sur un encépagement très varié, qui peut permettre d’obtenir un équilibre assez constant tous les ans, un peu moins sujet aux excès du millésime qu’on a pu avoir en 2009 avec des degrés apocalyptiques.

M.-J. R. : Ces cépages-là étaient là avant qu’on parle de canicule, donc ils avaient leur place. Aujourd’hui, c’est intéressant de les vinifier seuls, de montrer qu’ils peuvent avoir leur place dans des vins de qualité, mais ils n’ont évidemment pas vocation à devenir les cépages principaux dans des appellations qui sont traditionnellement des appellations d’assemblage de cépages. Il ne faut pas que ce soit toujours tout d’un côté ou tout de l’autre. Il n’existe pas de si mauvais cépages que ça, l’important, c’est comment on les manipule, ce qu’on en fait, comment on les fait produire. Certains cépages ont été outrageusement décriés : c’est sûr que l’aramon a de grosses baies et des pellicules fines, et s’il est dans des terroirs un peu humides, la pourriture grise s’en donne à cœur joie. Il faut choisir l’endroit où on le plante et ce qu’on en fait.

A. T. : C’est peut-être le cépage le plus variable qui puisse exister : j’en ai travaillé en coopérative dans la plaine narbonnaise, à plus de 200 hecto hectares, très pâle, du fumier, pourri à 100%, dilué évidemment. J’ai travaillé les alicantes maintenant de 90 ans à Berlou en altitude en 2009, et c’est monté assez loin en alcool. Mais les années normales on est dans les 13° avec des belles acidités, une couleur très prononcée, et surtout une puissance aromatique très intéressante. Ce sont vraiment des cépages à multiples facettes. Ces cépages- là étaient là avant, ils arrivaient à maturité, même si ce n’était pas les maturités de maintenant, ça arrivait toujours aux alentours de 12°, ça fait quand même des vins intéressants à 12°. Je prends l’exemple du terret qui fait des choses entre 11 et 12°, intéressantes, concentrées, pas diluées, avec des belles acidités. On est sur des équilibres différents et après, en travaillant en assemblage, ça nous donne des bases sur lesquelles on peut greffer des cépages aromatiques, et ça marche bien comme ça.

E. G. : Là, à chaque fois, on parle de cépages qui vont rentrer dans des assemblages. Ça va être difficile de faire des cuvées en monocépage, ou alors à titre anecdotique ou expérimental, de façon un peu amusante...

A. T. : Il y a des cépages qui se prêtent facilement à être travaillés en monocépage, comme le mauzac, l’alicante, ou le terret, que personnellement j’appelle le muscadet du sud. Il a un profil peu aromatique mais avec de belles acidités, très minérales. Certains vins peuvent se faire en monocépage pour des cuvées particulières, même si sur des cuvées un peu plus ambitieuses, c’est bien de recourir à des cépages un peu plus aromatiques.

E. G. : Par exemple la cuvée qu’on a dégustée ce midi, «French Wine Is Not Dead», une cuvée de blanc, avec une majorité de terret.

A. T. : Et une pointe de viognier, le cépage que je déteste par excellence. Mais c’est vrai que si l’on travaille avec au moins 80% de terret et une pointe de viognier, on ne retrouve pas du tout le profil aromatique entêtant du viognier ; par contre on a la minéralité du terret et le petit support aromatique qui vient un peu le relever derrière.

R. P. : Vous n’avez pas parlé du système de taille, qui peut influer assez considérablement dans l’hypothèse d’un réchauffement.

A. T. : C’est la disparition du gobelet qui fait augmenter le degré dans le sud. Le cordon de Royat (2), c’est la pire aberration.

R. P. : Il y a une cinquantaine ou une soixantaine d’années, une étude a été faite sur des essais de prise de température à l’intérieur d’une vigne taillée en gobelet : il y existe un micro-climat et il n’y a pas de choc thermique pour le raisin, d’où une maturité sans dérèglement. Ça aussi c’est intéressant.

M.-J. R. C’est sûr que la perte de nos gobelets est inquiétante car en plus, il y a cet effet micro climat au niveau de la baie de raisin et il y a aussi une couverture végétale, une espèce d’ombre portée sur le sol qui limite l’évaporation dans nos régions très ensoleillées. Du point de vue agronomique, le cordon de Royat, comme il est pratiqué maintenant, n’est pas adapté du tout à nos régions méditerranéennes.

R. P. : Le gobelet c’est la taille du soleil, c’est tout. Et s’il y a un réchauffement, je pense qu’il va falloir y revenir. Nous, on ne l’a pas quitté, mais ceux qui l’ont quitté seront peut- être obligés d’y revenir. Certains cépages se complaisent dans cette taille, vieillissent mieux et plus longtemps et ont une harmonie de goût complètement différente selon la taille qu’on emploie. Entre le gobelet et la taille Guyot, ça dépend du vigneron, parce qu’il y a des vignerons qui la maîtrisent mieux, mais en général la différence paraît.

E. G. : Je vais poser une question complètement naïve mais si la taille en gobelet a été abandonnée c’est j’imagine pour une question économique. Ça coûte plus cher à entretenir ? c’est plus de temps ?

R. P. : Son positionnement a été fulgurant dès lors que la machine à vendanger permettait de mieux cueillir le raisin sur ce type de taille que sur le gobelet. Mais la technologie a avancé, aussi. Je voudrais marquer un épisode de 2003 : nous avons eu un violent orage de grêle au moment des vendanges, alors que nous avions déjà commencé. Comparativement, après la grêle, j’ai pris une photo : tous les voisins qui avaient du Guyot, n’avaient plus ni feuilles ni raisin ; nous, nous n’avions plus de feuilles, mais nous avions encore beaucoup de raisin. C’est la preuve par a + b que les grêlons ont d’abord eu à franchir la barrière végétale de la protection de la feuille, et dans l’autre cas, pas du tout. Un élément parmi d’autres.

A. T. : Il y a une grosse différence aussi au niveau des acidités. Vous savez que dans le sud, souvent, il y a des manques d’acidité, et en gobelet, il y a des différences énormes. Il y a en plus l’âge de la vigne, surtout dans les mauzac. Au niveau des acidités, c’est vraiment flagrant.

M.-J. R. : Une autre dérive est en train de se mettre en place : les nouveaux systèmes de contrôle dans les appellations. On voit qu’à la réécriture d’un certain nombre de cahiers des charges, on exige que tous les cépages dans tous les terrains soient conduits exactement de la même façon : même style de plantation, même taille, même hauteur de fil, c’est un peu dramatique.

R. P. : J’ai vécu l’histoire de l’appellation, non pas depuis sa création, puisque je suis né juste après ; mais pour avoir été responsable de syndicat, j’ai vécu une certaine période où, à travers l’appellation, on a voulu TOUT réguler. Résultat : on voit maintenant, dans les commissions de dégustation, des dégustateurs qui, dès lors que le vin n’est pas à la hauteur de leur formatage, le refusent. Si c’était pour en arriver là, c’est dommage qu’on ait créé les appellations, parce qu’elles n’ont pas été faites pour ça, pas du tout. L’appellation a été créée pour réguler le marché, et réguler surtout la qualité. Et qualité n’est pas synonyme de nivellement de la qualité ! Si chacun de nous est différent, chacun de nos vins est différent.

M.-J. R. : Je suis aussi une adepte, pas inconditionnelle, de l’appellation. Je trouve que c’était une belle invention et qu’il y a vraiment de belles choses à faire. Mais aujourd’hui, on a effectivement ce problème de formatage et de nivellement tant en ce qui concerne la qualité du vin que la conduite des vignes. Et je crois que, dans toutes ces contraintes qu’on nous impose, on ne prend plus en compte les problèmes purement agronomiques, alors que la qualité du vin se fait d’abord à la vigne avec une réflexion purement agronomique, et que d’une parcelle à l’autre, on ne peut pas faire la même chose.

R. P. : Il y a une méconnaissance culturelle de la vigne ÉNORME. Il faut recréer des écoles pour ça, où on prendra tout un tas de gens qui sont formatés pour les déformater. Mais c’est à moi à le faire, peut-être....

A. T. : Au niveau des AOC dans le Languedoc, on est vraiment très embêtés si on veut coller au décret. Certes, je suis un mauvais exemple parce que j’ai quasiment tout en même temps. Je vais d’ailleurs déclasser ce qui me reste en AOC, parce que en corbières, on est dans l’illégalité avec 90% de carignan, qui est quand même LE cépage du coin : des vignes de 110 ans, plus terroir que ça, ça n’existe pas, et que normalement, on n’a pas le droit de le faire. On est embêtés sur tous les cépages : terret-bourret, interdit ; alicante Bouschet, interdit ; les cinsault, un petit peu mais pas trop ; aubun, je n’en parle même pas. On est vraiment dans un système... Si on veut faire de l’AOC, on est obligé de coller au format du vin à 15,5° qui ne se boit pas...

R. P. : On est au bout du chemin.

A. T. : On est dans un stéréotype de vin vraiment particulier, qui a été décidé par des gens qui ne boivent pas de vin ; sinon, ils n’en pousseraient pas de pareils. Le problème est que dans le sud, il faut revenir à boire du vin et arrêter de dire : « Oui je suis amateur de vin ». Ça, ça ne compte pas. Ce qu’il faut, c’est être un buveur de vin. Si un vin ne se boit pas, il ne faut pas en boire, il ne faut pas se forcer. Il faut arrêter de faire des vins trop ambitieux, et revenir à quelque chose de plus simple et de plus facile à communiquer aux gens, revenir à quelque chose qui se boive.

R. P. : Peut-être que l’engouement des rosés et des effervescents est dû aussi à ce besoin de boire des vins peu alcoolisés, parce qu’en général, les vins effervescents n’ont pas trop de degré, et les rosés, ceux qui n’ont pas un degré élevé, sont des vins à boire, des vins qui désaltèrent et des vins de plaisir, aussi. Mais il ne faudrait pas que ça aille trop loin, parce qu’on va finir par faire des ersatz, et des rosés et des effervescents.

M.-J. R. : Les rosés sont un bon exemple : on se rend compte que les gens aiment les rosés légers en couleur, parce qu’ils sont persuadés que c’est plus léger à boire, alors qu’en réalité, on voit des rosés de Provence à 15°, comme des rouges !

E. G. : Anthony, tu disais tout à l’heure qu’il faut revenir à une culture du vin que l’on boit. Mais quand il s’agit d’exporter ces vins à l’étranger, est-ce qu’on peut être sûr que le consommateur qui va boire le vin a vraiment conscience de cela, qu’il peut saisir cette culture, qu’il peut comprendre le vin? Il y a aussi cette question : si on fait des grosses cuvées de bonne matière à 15°, est-ce que ce n’est pas aussi parce qu’à l’export ça peut marcher, parce que là, il y a une autre culture, une autre façon de consommer le vin?

A. T. : Je ne pense pas, non. En général ce sont des gens qui sont extrêmement ouverts d’esprit. Ils n’ont pas les a priori qu’on peut avoir en France, comme par exemple de penser que le bourgogne est un vin avec de l’acidité, plus léger qu’un bordeaux. Ils se foutent complètement de ça. Ils goûtent : si c’est bon, ils boivent, ils achètent.

M.-J. R. : Il faut bien se dire que dans beaucoup de pays d’exportation, le vin n’est pas forcément bu au cours d’un repas. Donc, il faut qu’il soit d’abord buvable, seul, en l’état, et après, éventuellement, l’associer à un repas. Je dirais donc que, encore plus sur les marchés d’exportation, la buvabilité est un critère important.

N. C. : En France, on a vraiment trop de barrières, on a été habitués avec des appellations, des cépages, on était un peu coincés. Effectivement, à l’étranger, ils sont beaucoup plus ouverts, ils ne s’embêtent pas avec tout ça, ce qu’ils veulent, c’est vraiment ce qu’il y a dans la bouteille. Et que ça fasse 15° ou 11° n’est pas un problème. Le caractère du vin, le caractère des vignerons, du terroir, oui, ils ont besoin de ça, contrairement à ce qu’on peut croire avec les Américains, avec la mode de Parker. Heureusement, ils sont là aussi pour nous, et pour moi, en tout cas : je vends 50% à l’export, et on pourrait tout vendre à l’export. En tout cas, j’ai beaucoup de plaisir à partager ça avec eux.

(Salle J.-Y. Arriat) : Merci pour ces recentrages. Je ne suis pas vigneron, je suis simple consommateur, avec une particularité, c’est que je voyage beaucoup à travers le monde, y compris en Chine, un marché qu’il ne faut pas oublier. Il faudrait peut-être que les vignerons sortent du discours extrêmement intellectuel, avec des étiquettes totalement illisibles. Je vais vous donner un exemple : à propos du débat sur le degré, quel est le symbole utilisé sur l’étiquette ? Ce n’est même pas le degré, c’est le pourcentage. Essayons de faire des choses simples, des choses buvables et des choses faciles à comprendre de l’autre côté du bouchon.

M.-J. R. : Le degré sur l’étiquette est exprimé en pourcentage en volume, parce que le degré d’alcool, c’est le degré Gay-Lussac, donc un pourcentage en volume.

(Salle) : C’est trop compliqué.

M.-J. R. : Le pourcentage en volume a été rendu obligatoire en 88 en parce que, précisément, on a estimé qu’il y avait trop de degrés différents, entre les Celsius, les Farenheit et Kelvin, et qu’on avait un risque de confusion.

E. G. : Et que ça pouvait être confondu avec la température de service du vin !

A. T. : Et surtout, ce ne sont pas nous les vignerons qui décidons ces choses-là. Nous, on le subit.

(Salle) : Même si ça n’est pas le débat du jour, c’est en grande partie des vignerons qui ont créé les décrets AOC. Maintenant, que ça corresponde à tout le monde, ça c’est autre chose. Deuxièmement, un vin d’ AOC, c’est un vin qui a une typicité.

A. T. : La typicité d’un vin, je dirais, à 90% du temps, mais je ne suis pas forcément d’accord.

(Salle) : Par exemple, à Marcillac, on a imposé le fer à 90% et les autres à 10%. Le fer a une typicité. Tels que les décrets étaient écrits avant, ou même quand il n’y avait rien d’écrit, on pouvait faire du vin à 100% fer — personne ne le faisait — et à côté, on pouvait faire du vin à 100% merlot. Alors, qu’on m’explique la ressemblance entre les deux.

A. T. : C’est sûr que c’est un point vraiment très particulier. Le souci avec les AOC, c’est qu’on tend à avoir des vins hyper standardisés. Je conseille quelqu’un dans les Corbières : l’an dernier, son rosé a été refusé. Trois fois ! Ce qui signifie réétiqueter en vin de table. Analytiquement, aucun problème ; à la dégustation, aucun problème. Mais... trop coloré ! Alors à quoi ça rime ? Rentrer dans les normes comme ça, c’est ce qui pousse les gens à levurer, à vinifier d’une façon standardisée...

(Salle) : À Marcillac, on a mis le prunelart dans l’AOC, justement pour qu’il ne s’en plante pas, parce que les aides ne concernent que le mansois. S’il était resté en dehors de l’AOC, on pourrait planter du prunelart. Mais maintenant c’est coincé, on ne touche rien.

M.-J. R. : À l’origine, la réglementation AOC était basée sur des usages, mais les textes ont été modifiés sans cesse, peut-être dans l’espoir de canaliser les dérives apparues tout au long de l’évolution des marchés. Sauf qu’à force de vouloir les canaliser, on est maintenant en train de formater un peu à outrance, car le système de contrôle coûtant de plus en plus cher, on se dit que si tout le monde fait la même chose dans les mêmes conditions, les contrôles seront plus faciles à faire et coûteront moins cher. Donc on est loin des problèmes de qualité du vin. Ceci dit, pour reparler du degré alcoolique, quand j’ai commencé à travailler avec monsieur Gabriel Meffre, il estimait qu’un châteauneuf-du-pape à moins de 15° n’était pas un châteauneuf-du-pape !

(Salle) : Il y avait la chaptalisation.

M.-J. R. : Non, ils n’avaient pas besoin de ça.

A. T. : Autre gros problème aussi dans le sud : afin de répondre à ces modes dont on parlait tout à l’heure, on emploie maintenant des cépages qui n’ont jamais été là historiquement. Il faudra m’expliquer comment, dans les Corbières, on peut avoir une typicité corbières en mettant de la syrah levurée avec une levure syrah, un carignan avec une levure machin (et pas plus de 10% de carignan, sinon ce n’est plus du corbières !). Il faudra m’expliquer où est la typicité du corbières quand elle n’est pas faite avec des choses qui viennent des Corbières, et quand on annihile le terroir en mettant une levure aromatique sur les cépages.

(Salle : Michel Grisard) : Sur le côté export, et pour donner un message très positif — je parle sous le contrôle de mes amis vignerons de l’Isère —, Nicolas Gonin est parti pour New York tout à fait récemment (peut-être y est-il encore), avec des vins d’appellation des balmes dauphinoises, une IGP Isère, des bouteilles de persan. Il a vendu là-bas mille bouteilles simplement en pointant son nez. C’est quand même très positif, par rapport à ce qui était dit tout à l’heure : ce sont des gens ouverts.

A. T. : ... à la recherche de la nouveauté.

N. C. : ... d’un goût différent. Il ne faut pas oublier le goût, parce qu’effectivement, on fait aussi des vins qui deviennent de plus en plus standard et sont au goût de tout le monde, tous faits à l’identique. Alors que dans le même village, d’ici ou d’ailleurs, avec des parcelles différentes, les anciens savaient exactement qui faisait quoi et comment. Même s’ils travaillaient les mêmes cépages, dans des parcelles attenantes, le caractère du vin était différent. Et quand on voit que l’appellation juge ton vin sur des critères de couleur, ou parce qu’il sent plus ou moins tel ou tel parfum, ce n’est pas normal. On perd vraiment notre caractère. Il faut faire attention, parce qu’on a déjà perdu énormément de choses dans le domaine de la nourriture, les gamins font la grimace sur des choses que nous ou nos grands- parents aimions, donc où va-t-on ? En tout cas, on risque d’y aller très vite. Pour le vin, ils en boivent. Je pense que ça saute une génération. Moi, j’ai des enfants qui commencent à aimer le vin et je suis content.

A. T. : Il faut simplifier les choses.

E. G. : Une dernière question ?

(Salle) : Ce n’est pas une question, c’est plus pour réagir sur la buvabilité. Il y a des vins qui peuvent être buvables après plusieurs années de mise en bouteille, des vins qui peuvent avoir une pointe d’acidité supérieure, et justement il faut parfois attendre quelques années pour que cette acidité se marie bien avec le reste du vin et ses tanins. Donc il faut être très vigilant aussi quand on parle de ça.

N. C. : Ton problème, c’est que tu vas lâcher dans la nature des vins qui sont mis en bouteille. Tu n’as pas forcément la trésorerie pour le conserver, et donc tu ne vas pas forcément le vendre au moment où le vin va être à son optimum. Le caviste, le restaurateur ou l’amateur qui va l’acheter va avoir le même problème que toi, et ça, c’est compliqué pour tout le monde.

(Salle) : Surtout quand on commence. J’ai attaqué en 2008, c’est très jeune, et quand on commence, on a aussi besoin de vendre ses vins. Or, on est régis par des dégustations d’agrément, et par moments, j’ai eu des problèmes parce que mes vins avaient moins d’acidité que certains autres, et je me suis fait retoquer. C’est même arrivé à Nicolas de se faire retoquer sur certains de ses vins, parce qu’ils étaient atypiques.

N. C. : Ce n’était pas mauvais, loin de là, mais c’était différent, et on n’aime pas la différence.

(Salle) : Autre réflexion, est-ce que le problème des appellations n’est pas uniquement un problème franco- français? Quand vous présentez un vin à l’étranger, le fait qu’il soit AOC ou IGP est complètement passé sous silence. Pourvu qu’il soit bon, le prix est en correspondance avec la buvabilité.

A. T. : Le prix n’a rien à voir avec l’AOC. J’ai autant de facilité à vendre mes vins de table qu’à vendre les AOC. En plus, le client qui est au Japon, l’AOC marcillac, l’AOC corbières, il ne sait pas où c’est.

(Salle) : Il y a un aspect du degré excessif qui rejoint la question de l’utilisation des levures. Je vous livre des témoignages de vignerons des côtes-du-rhône du Vaucluse, par exemple, qui disent qu’avec le degré excessif, il se trouve un moment où les levures meurent, la fermentation s’arrête, et il reste du sucre dans le vin. Donc, on ne peut pas mettre en bouteille avec du sucre résiduel, et ils sont obligés de relevurer.

A. T. : Ça, c’est un faux problème : j’ai appris à ne plus levurer à châteuneuf-du-pape. On n’avait rien dans la cave en dessous de 16,5°, et on finissait tous les vins. Le tout, c’est d’avoir des vignes équilibrées avec des taux d’azote qui sont bien pour les levures, et quand on a des vignes équilibrées, ça fermente. C’est sûr, en 2009, on a fermenté même plus que ça. Il peut arriver que ça s’arrête, mais il peut aussi arriver que ça s’arrête avec des levures sélectionnées.

N. C. : Même des vins à 12° peuvent s’arrêter, 12° potentiels.

M.-J. R. : Mon frère Marcel Richaud, vigneron à Cairanne, a effectivement des vins de très fort degré. Je ne sais pas depuis combien d’années il est passé en bio et en biodynamie, mais c’est vrai qu’aujourd’hui il voit des vins se finir à des degrés qui passent allègrement 15°, 16°, ce qui n’existait pas avant, parce qu’il n’y avait pas l’équilibre optimal, ou alors il fallait rajouter de l’azote, de la thiamine, tout le cortège des produits œnologiques. C’est donc davantage un problème agronomique : mon frère travaille tout en levures indigènes, il ne levure jamais.

(Salle Jean Rosen) : En parlant de degré, il y a une question que pas mal de gens se posent. J’ai déjà un certain âge, et quand j’étais jeune, les gens qui buvaient beaucoup de vin buvaient du vin à 9°, 9,5° dans des litres étoilés. Quand on voulait du vin un peu meilleur, on buvait du vin à 11°. Les bordeaux, les grands bordeaux faisaient 11,5°, et les grands bourgognes 12,5°. Maintenant, tout a augmenté de deux, voire trois degrés. Quelle en est la raison ?

M.-J. R. : Il y a beaucoup de raisons, mais entre autres choses, dans les années 60, 70, on faisait beaucoup de vin, souvent au détriment de la qualité. C’étaient les années aussi de la chaptalisation, parce que, avec des gros rendements, on manquait forcément de sucre, et on en ajoutait en chaptalisant. On a réduit considérablement les rendements dans toutes les appellations : à l’échelon français, je crois qu’en vingt ans, le rendement a diminué d’à peu près 10 hl/ha sur l’ensemble des produits. On a donc des raisins plus sucrés et des degrés alcooliques plus élevés. Ensuite, les modes de vinification ont changé : quand on travaille à basse température, on sait que le rendement en alcool des levures est un peu plus élevé, donc si une levure n’utilise plus que seize grammes de sucre à peine au lieu de dix-sept quand on travaillait à haute température, faites le calcul. Sur des raisins à 250 grammes de sucre par litre, vous gagnez quasiment un degré. Beaucoup de comportements ont évolué et, indépendamment même de l’évolution climatique, on a des degrés alcooliques plus élevés.

(Salle) : Le plus important, c’est quand même le réchauffement climatique, notamment dans nos régions où on est pratiquement à la limite climatique de culture de la vigne. Par exemple, même avec du fer servadou, pourtant peu alcoologène, on a gagné deux, trois degrés.

N. C. : Mais on pourrait aussi voir avec monsieur Yobrégat parce que, avec des porte-greffes ou des sélections clonales, on a aussi gagné en degré. N’y a-t-il pas eu à une certaine époque une volonté que le pied de vigne planté fasse un degré de plus qu’un franc de pied ?

(Salle O.Y.) : Depuis le phylloxéra, le franc de pied est un problème évacué. Ce qu’on peut dire, c’est que quand on a un objectif de production, on plante des porte- greffes vigoureux qui poussent à la production, mais quand on a un objectif de réduction des rendements, on plante des porte-greffes de moindre vigueur, ce qui va dans le sens de l’augmentation du degré.

A. T. : En général, un clone qualitatif produit beaucoup plus d’alcool.

(Salle O.Y.) : Ils ont été sélectionnés avec un certain objectif, il ne faut pas l’oublier. On a reproché aux premiers clones d’être trop productifs et de ne pas avoir assez de degré, et maintenant, on va presque leur reprocher d’en avoir trop. Il y a des ajustements à trouver dans le discours. Il ne faut pas dire tout et son contraire en cinq minutes.

N. C. : J’ai des copains dans le Val de Loire sur le terroir de Bourgueuil et de Chinon, Pierre et Catherine Breton, installés depuis vingt ans et qui ont fait une sélection massale. Ils ont choisi leurs bois dans leurs vignes, sur les pieds qui leur plaisaient, qui étaient mieux adaptés, et ils ont planté en franc pied. C’est-à- dire que sans porte-greffes, donc sans filtre, ils ont pris le risque de voir un jour le phylloxéra reconsommer les racines et donc détruire leurs vignes. Mais ce sont des vignes qui ont quinze à vingt ans, et ils se sont rendu compte qu’il y avait à peu près un degré de moins en alcool d’année en année par rapport à celles qui sont greffées.

(Salle O.Y.) : Une vigne sur ses propres racines a un comportement différent d’une vigne greffée, tout comme ont des comportements différents deux vignes sur deux porte-greffes différents. C’est valable aussi bien pour la nature du terrain que pour le cépage, parce qu’il y a des différences, dans un sens ou dans l’autre. Hors phylloxéra, un cépage peut être vigoureux sur ses racines, et un autre cépage moins vigoureux. La génétique joue là-dedans au même titre que les porte- greffes.

A. T. : Sur une vigne plantée en deux fois — il s’agit de terret bourret —, une partie de vingt-cinq ans d’âge en clonale et une autre partie de plus de soixante-dix en sélection massale, il y a quasiment une semaine et demie d’écart, alors que la clonale est beaucoup plus chargée en raisins. C’est quand même une sacrée différence.

(Salle O. Y.) : Il n’y a rien de comparable ; profondeur d’enracinement, âge de la vigne, ses blessures, son comportement, ses maladies éventuelles, dans les deux situations, comment voulez-vous savoir quel est le facteur qui joue ?

A. T. : Le rendement est beaucoup plus important malgré cela dans la plus précoce. Ça fait beaucoup de différence quand même.

(Salle) : Il y a peut-être un porte-greffe qui pousse à précocité, tandis que l’autre est greffé sur quelque chose...

A. T. : C’est le même porte-greffe.

(Salle O. Y.) : On n’a pas tellement de comparaison possible sur des âges aussi différents. Tout peut être responsable, un ensemble de facteurs peut influer, et on ne peut pas tout expliquer par un seul d’entre eux, c’est impossible. En viticulture, il n’y a jamais un seul facteur...

E. G. : Une dernière question ?

(Salle) : Est-ce qu’on peut imaginer un vin de moins de 13° qui soit très bon et se conserve très longtemps dans de très bonnes conditions ?

Anne Déplaude : Dans le sud, la question de la chaptalisation ne se pose pas, dans la mesure où on est dans la problématique : comment faire pour éviter de monter en degré ? Mais si on monte un peu plus au nord, par exemple du côté des coteaux du Gier, entre Lyon et Saint-Étienne, nous travaillons à la réhabilitation d’un ancien cépage, le mornen noir, un cépage à maturité tardive qui a une maturité phénolique autour de 10,5°. Avec ce cépage sur lequel nous n’avons pas de référence et dont vous allez pouvoir goûter ce soir une cuvée expérimentale, la question est la suivante : à 10,5°, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on laisse à 10,5° ? Est- ce qu’on chaptalise un peu ? En fait, c’est ce qu’on a fait là, dans un objectif de comparaison avec un cépage type gamay qui a un peu le même profil. Mais est-ce que c’est judicieux ? C’est vrai que si on l’avait laissé à 10,5°, l’argument aurait été : s’il n’a pas assez de degré, il ne va pas se conserver.

A. T. : Pourquoi faire un vin qui doit se garder dix ans ? Les gens boivent le vin qui sort du litre, donc ce n’est pas une fin en soi d’avoir un vin qui tient les années. Il faut le laisser tenir naturellement.

N. C. : Je suis d’accord. Si le vin est bon, il faut le boire. Il ne faut pas s’amuser à se dire : « Tu verras dans cinq ans ce sera encore mieux ». J’ai eu l’occasion de vendre, de déguster, de partager des vins qui faisaient 10°, 10,5°, 11°, notamment dans les côtes d’Auvergne sur de jolis terroirs. C’est une appellation complètement méconnue, mais où il y a de super vignerons. J’ai bu là un 2000, il y a deux jours, un gamay, de vieilles vignes donc peu coloré, un peu comme les vins du Jura, les poulsards par exemple, qui ne donnent pas beaucoup de couleur, mais c’était un vin fin, élégant et qui avait bien tenu. Évidemment, il faut bien les conserver. Soufre ou pas soufre, ce n’est pas le problème. Si le vin est bien fait, je pense qu’il n’y a pas de problème.

E. G. : J’apporte un témoignage peut-être très naïf de simple consommateur, mais il me semble qu’il y a énormément de vins blancs d’Allemagne ou d’Autriche qui sont à 9° et qui se conservent très bien. Est-ce qu’il ne faut pas aussi surtout l’acidité pour conserver des vins comme ça ? Je parle de vins secs.

N. C. : Ça s’appelle SO2.

R. P. : Nous avons fait l’expérience de passeriller des grappillons qui, avant passerillage, étaient à 5,5° et faisaient 11° d’acidité. On a passerillé, on est arrivés à 11° en sucre. Je ne sais pas ce que ça donne comme vin, on n’est pas allés plus loin. On a la porte ouverte, on peut faire beaucoup de choses. On peut changer les cépages, on peut changer de stratégies ... On peut trouver une solution au problème d’excès d’alcool. On est dans un système où nous sommes, même si on ne veut pas l’accepter, formatés à des techniques ancestrales, avec des cépages obligés, etc ... Tout cela est une copie à revoir. N’oublions pas qu’au XIIe siècle, on cultivait de la vigne au nord de l’Écosse, qu’à Paris, on offrait du jus de raisin le 18 août, et que dans le Massif Central, à la même date, on offrait le vin nouveau. Et nous, dans l’Albigeois, on a eu vendangé le premier août. Donc si on va vers tout ça, imaginez tout ce que ça peut donner comme questions qu’on est en droit de se poser et la réforme qu’on a à faire. Elle est énorme !

(Salle) : Il y a de ces chenins botrytisés au nord de la Loire de l’autre côté des coteaux du Layon qui font 11,5°, des vins extraordinaires, concentrés : on s’attendrait à ce que ça fasse 16° quand on voit ce que c’est.

N. C. : Il y a encore beaucoup de sucre pas transformé en alcool. Le potentiel est d’au moins 15°.

R. P. : On peut avoir des vins à 13-14° issus d’un terroir dans lequel il y a énormément de glycérol. On ne se rend alors pas compte de l’importance du degré. Le taux de glycérol est si important que le glycérol va masquer les effets de l’alcool.

Michel Grisard : Au niveau des cépages, l’alcool dans le vin n’est pas en soi un gage de qualité. Le vigneron doit régler ses pratiques sur la buvabilité. Sur la jaquère, sur l’apremont, les frères Jacquinot font des vins à 9,5° et ils font un malheur avec leurs vins, parce que c’est du plaisir, ce sont des vins secs bio, avec peu de soufre, qui ne font pas mal à la tête. Moi, je suis producteur de mondeuse, un cépage peu alcooleux. Il faut savoir qu’avec la mondeuse, on peut faire des vins simples, primeur, faciles à boire, sans beaucoup d’alcool. Par contre, si vous voulez des vins de garde, je pense qu’il y a un minimum d’alcool à avoir parce que au niveau du vieillissement, l’alcool apporte un tout petit peu, mais les mondeuses ne dépassent pas 12° et on peut les garder vingt à trente ans sans vraiment de problème, parce qu’il y a un produit équilibré au départ. Je pense que la politique du vigneron, par rapport au produit qu’il veut faire, par rapport à ce qu’il aime, à ce dont il a envie, c’est de garder un niveau d’équilibre avec l’alcool sans chaptaliser. J’ai fait un essai en 88 sur une mondeuse qui faisait 18° que j’ai laissée nature jusqu’au mois de juin. C’est un fût qui faisait huit cents litres. Jusqu’au mois de juin, c’était impeccable, mais après le mois de juin, avec les chaleurs, la cave s’est légèrement réchauffée, il a perdu ce plaisir. Quand il n’y a pas trop d’alcool, il faudrait mettre en bouteille, il faudrait adapter sa politique à ses vins. L’année dernière, quand je suis allé en Italie, un vigneron chargeait dans le container des muscats à 5°. Il y avait une acidité, un équilibre, on n’avait pas l’impression de sucre résiduel, il y avait de la buvabilité. J’ai acheté une bouteille pour le plaisir de boire.

N. C. : C’est les moscato di Asti.

A. D. : La difficulté, c’est que quand on commence à travailler sur des anciens cépages, on n’a aucune référence œnologique, c’est très compliqué, tant dans la vinification qu’après, dans la dégustation. On a besoin de déguster ensemble à plusieurs en expliquant comment on a vinifié pour voir comment on peut avancer dans la vinification. Jusqu’à présent, on a fait deux vinifications de mornen noir, mais c’est vrai que les deux fois, on a chaptalisé. L’idée était aussi d’avoir deux années et de comparer pour voir.

N. C. : Chaptalisé de combien?

A. D. : Un degré.

N. C. : J’avais lu des écrits d’un homme passionnant que doivent connaître certaines personnes ici. Il s’agit d’un vigneron du Beaujolais nommé Jules Chauvet, vraiment un maître pour nous. Il explique un peu l’histoire des primeurs, et il disait qu’avant 47, les beaujolais faisaient 9, 10°, c’était fabuleux. En 47, il y a eu une grosse année de canicule, ils ont ramassé des raisins à 12, 12,5° de potentiel, donc ça fait des vins assez puissants. Le vin a bien marché, il s’est vendu très facilement, ils ont trouvé ça bon, et ça leur a ouvert les marchés. Ils ont vendu ensuite à Paris, entre autre les beaujolais nouveaux. Et ils se sont donc dit qu’il fallait à tout prix faire chaque année des vins à 12,5°, ce qui n’était pas à l’époque facile parce qu’il n’y avait pas le climat, que le gamay est un cépage qui mûrit sans faire un degré excessif. C’est alors devenu une tradition de chaptaliser de un ou deux degrés. On ne s’embête pas, on ramasse même si ce n’est pas mûr, et on arrange la sauce. Chauvet expliquait qu’il y avait pourtant des vins faciles, de soif, qu’on conservait bien et qu’on buvait très facilement à 10°. Tout dépend de l’équilibre, c’est ce qu’on disait tout à l’heure.

(Salle) : Il faut peut-être rappeler que cépage ancien ne veut pas forcément dire cépage de qualité.

A. D. : Après, on est dans le débat : est-ce qu’on vinifie en monocépage ? Est-ce qu’on travaille sur des assemblages ? Quel poids ces anciens cépages peuvent avoir dans une relance de vignoble ? Est-ce qu’ils ne peuvent pas agir comme levier de développement économique, mais en évitant les travers du tout ou rien ? Pour qu’un cépage dure dans le temps, pour qu’un vin dure dans le temps, après l’effet de mode économique, mais en évitant les travers du tout ou rien ? Pour qu’un cépage dure dans le temps, pour qu’un vin dure dans le temps, après l’effet de mode du côté un peu rare, il faut avant tout que ce soit bon. C’est donc pour ça que nous ne serons peut-être pas en monocépage, mais en assemblage.

N. C. : Il faut bien reconnaître que ton cépage est unique. Il n’y a pas de référence, pas de repère, tu es obligée de le vinifier seule, tu n’as pas le choix, il faut vraiment le sentir. Après, effectivement, il faudra adapter les vinifs et les assemblages, mais pour connaître le goût vraiment pur de ce raisin, tu n’as pas vraiment le choix.

(Salle O. Y.) : Pour les évaluations des cépages inconnus, ce n’est pas simple. On essaie toujours de travailler par comparaison, en utilisant des protocoles d’expérimentation qui s’appuient sur des cépages connus, qui servent de repères. Pour évaluer un cépage, les mesures à la vigne permettent déjà d’évaluer un certain potentiel. Si on parle d’un cépage rouge, c’est aussi simple que déterminer les degrés, l’acidité à maturité et les quantités de polyphénol. On sait alors si on a affaire à un cépage « fort », c’est-à-dire concentré en maturité, pour aller vite, ou à un cépage qui a un équilibre plus bas, donnant des vin de soif, etc... Ces mesures à la vigne, effectuées avant vinification, permettent de savoir par exemple si on va faire des cuvaisons longues avec extraction ou non. C’est un premier renseignement. Ensuite, quant à savoir s’il faut le chaptaliser ou pas, alors là, je vous dis nettement : non, surtout pas. Vous recherchez le potentiel du cépage : je ne vois pas trop pourquoi vouloir le mettre hypothétiquement à un niveau censé permettre de le comparer à un autre. Ces réflexions existent depuis toujours entre expérimentateurs. Est-ce qu’on met les vins au même niveau en degré ou bien est-ce qu’on les laisse comme ils sont, dans un but d’évaluation des variétés ? Moi je pense qu’il ne faut pas les chaptaliser. Ensuite, pour tout ce qui est de leur capacité à entrer dans les assemblages, il faut quand même connaître le potentiel du cépage pur. Il faut le vinifier d’abord en monocépage et sans technique correctrice et ensuite, à partir de là, on a les cartes en main pour savoir comment et avec quoi l’assembler.

A. T. : Tout à l’heure, on disait que l’important, dans un cépage, c’est son équilibre. Si on corrige la vendange, on change la donne au début.

(Salle) : ... et on n’apprécie pas le potentiel du cépage.

N. C. : (Fort) Ça donne soif !

E. G. : Le signal a été donné ; on peut peut-être terminer ce débat de cet après-midi en allant boire un verre, puisque les débats ont donné soif, que le chantier est long, et qu’il y a encore plein de choses à discuter demain. Je vous invite donc, pour prendre des forces, à passer dans la salle voisine.

(Salle) : Nouvelles question sur le rendement.

M.-J. R. : Il y a sûrement un rendement optimal à évaluer, et baisser le rendement éternellement n’est pas forcément une solution. À un moment donné, on ne monte plus en qualité. Je pense que chaque cépage a son rendement optimal et qu’il faut bien l’observer.

(Salle) : Je mettrais quand même une condition à ça, c’est qu’il y ait suffisamment d’eau.

M.-J. R. : Il s’agit bien sûr de chaque cépage dans son terroir, son environnement géographique.

(Salle O.Y.) : Pour s’adapter aux évolutions climatiques quelles qu’elles soient, il existe plusieurs leviers en termes de culture de la vigne : travailler sur les rendements, les options de taille, etc... On peut orienter la sélection vers des clones un peu plus tardifs s’ils existent dans les collections. Ensuite, il y a les porte-greffes, l’aspect génétique, très important et très souvent occulté, par exemple rechercher la vigueur conférée pour garder accessoirement un peu plus d’acidité et avoir des degrés un peu plus bas à date fixe, mais aussi par rapport à l’eau. Le porte-greffe est un levier d’adaptation très important. Ce qui est certain, c’est qu’à chaque replantation, il y a aujourd’hui plus de questions à se poser que par le passé.

E. G. : Je pense que l’an prochain, notre manifestation des « Rencontres des Cépages Modestes » deviendra bien plus importante, et nous consacrerons certainement un débat ou une après-midi à la question des pépinières, des porte-greffes et de la sélection clonale et/ou massale. cépage : je ne vois pas trop pourquoi vouloir le mettre hypothétiquement à un niveau censé permettre de le comparer à un autre. Ces réflexions existent depuis toujours entre expérimentateurs. Est-ce qu’on met les vins au même niveau en degré ou bien est-ce qu’on les laisse comme ils sont, dans un but d’évaluation des variétés ? Moi je pense qu’il ne faut pas les chaptaliser. Ensuite, pour tout ce qui est de leur capacité à entrer dans les assemblages, il faut quand même connaître le potentiel du cépage pur. Il faut le vinifier d’abord en monocépage et sans technique correctrice et ensuite, à partir de là, on a les cartes en main pour savoir comment et avec quoi l’assembler.

A. T. : Tout à l’heure, on disait que l’important, dans un cépage, c’est son équilibre. Si on corrige la vendange, on change la donne au début.

(Salle) : ... et on n’apprécie pas le potentiel du cépage.

N. C. : (Fort) Ça donne soif !

E. G. : Le signal a été donné ; on peut peut-être terminer ce débat de cet après-midi en allant boire un verre, puisque les débats ont donné soif, que le chantier est long, et qu’il y a encore plein de choses à discuter demain. Je vous invite donc, pour prendre des forces, à passer dans la salle voisine.

(Salle) : Nouvelles question sur le rendement.

M.-J. R. : Il y a sûrement un rendement optimal à évaluer, et baisser le rendement éternellement n’est pas forcément une solution. À un moment donné, on ne monte plus en qualité. Je pense que chaque cépage a son rendement optimal et qu’il faut bien l’observer.

(Salle) : Je mettrais quand même une condition à ça, c’est qu’il y ait suffisamment d’eau.

M.-J. R. : Il s’agit bien sûr de chaque cépage dans son terroir, son environnement géographique.

(Salle O.Y.) : Pour s’adapter aux évolutions climatiques quelles qu’elles soient, il existe plusieurs leviers en termes de culture de la vigne : travailler sur les rendements, les options de taille, etc... On peut orienter la sélection vers des clones un peu plus tardifs s’ils existent dans les collections. Ensuite, il y a les porte-greffes, l’aspect génétique, très important et très souvent occulté, par exemple rechercher la vigueur conférée pour garder accessoirement un peu plus d’acidité et avoir des degrés un peu plus bas à date fixe, mais aussi par rapport à l’eau. Le porte-greffe est un levier d’adaptation très important. Ce qui est certain, c’est qu’à chaque replantation, il y a aujourd’hui plus de questions à se poser que par le passé.

E. G. : Je pense que l’an prochain, notre manifestation des « Rencontres des Cépages Modestes » deviendra bien plus importante, et nous consacrerons certainement un débat ou une après-midi à la question des pépinières, des porte-greffes et de la sélection clonale et/ou massale.


(1) La maturité phénolique est l’équilibre parfaite entre la peau du raisin, la pulpe et les pépins. Parfois le taux d’alcool n’est pas révélateur. Les raisins du Languedoc à 13° ne sont pas forcément mûrs. On aura plus le côté pépins ou le désé- quilibre tannique.

(2) Le gobelet languedocien traditionnel se caractérise par un tronc court et des bras longs s’ouvrant largement en éven- tail dans toutes les directions. Il offre l’avantage d’une taille simple et procure une excellente aération à la souche. Son principal inconvénient réside dans la difficulté de mécanisa- tion : la récolte à la machine est impossible. Le cordon de Royat est une taille courte, caractérisée par un ou deux bras horizontaux, portant deux à cinq coursons ou porteurs, ins- tallés dans le sens du palissage sur le fil porteur, au minimum à 60 cm du sol. Ce système de taille facilite la mécanisation de la culture et de la vendange.