Rencontres des cépages modestes

LE FER SERVADOU DANS TOUS SES ÉTATS (2)

Rencontres des cépages modestes 2011

Samedi 29 octobre 2011

Premier débat, 2nde partie

(voir 1e partie)

Michel Laurens, ancien président de l’appellation AOC Marcillac (M. L .)
Olivier Yobregat, Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) (O. Y.)

Enregistrement André Deyrieux (Persan), transcription Anne-Marie Rosen (Durezza), mise en forme Jean Rosen (Petit verdot) et Denis Wénisch (Pinot gris) texte revu par Olivier Yobrégat

O. Y. : Pour revenir un petit peu sur l’intervention de Michel (ici) qui a planté le décor du vignoble du nord Aveyron, en particulier de Marcillac, je vais vous présenter un panorama d’ensemble des travaux sur l’encépagement aveyronnais menés depuis de nombreuses années.

En deux mots, j’appartiens à l’Institut Français de la Vigne et du Vin, qui est une fusion de plusieurs organismes réalisée il y a quelques années, dont la SICAREX sud-ouest à laquelle j’appartenais antérieurement, un organisme uniquement dédié à l’expérimentation, la sélection, la conservation et la multiplication des ressources génétiques viticoles régionales. J’ai donc intégré, avec l’ensemble de ce travail, l’Institut Français quand il s’est créé. La SICAREX avait travaillé depuis très longtemps sur l’encépagement de plusieurs départements de la région et en particulier l’Aveyron, qui est très intéressant en ce qui concerne l’encépagement ancien. Mais dans un premier temps, quand on commence à travailler sur l’encépagement d’une région, on s’intéresse évidemment à tout ce qui est ressources bibliographiques : qu’est-ce qui a été écrit autrefois ? Qu’est-ce qui a été nommé ? Quels cépages étaient présents ? Où ?, etc... On dispose d’un certain nombre de documents de référence, y compris dans des archives départementales, qui dorment parfois profondément sous la poussière, mais également d’ouvrages très locaux. J’en parlerai tout à l’heure. On s’intéresse aussi à tout ce qui est déjà présent dans les vieux conservatoires existants, en particulier la collection nationale de l’INRA de Vassal près de Marseillan, et dans les conservatoires régionaux qu’on a la chance d’avoir dans la région depuis assez longtemps. Partant de là, quand il reste des vieilles parcelles, on organise des prospections avec les vignerons sur place — cela a été le cas depuis 1995 pour moi sur les zones d’Estaing, d’Entraygues et de Marcillac —, ou on fouille dans la mémoire des vignerons pour nommer telle ou telle variété et recoller un petit peu les morceaux de l’histoire. Depuis maintenant presque une dizaine d’années, on a un outil de choix pour l’identification des variétés : les tests génétiques. C’est la même technique que pour les identifications criminelles : elle permet de savoir si tel ou tel individu, en l’occurrence un cépage qu’on a sous les yeux, est connu ou inconnu et, s’il est connu, quel est-il. On a là un outil très puissant, puisque on travaille parfois sur des repousses qui sont absolument inidentifiables. Localement, on a inventorié quantité de bases documentaires dans l’Aveyron. Ce sont d’anciens textes, parus soit dans des journaux, soit dans des revues agricoles, ou directement édités sous forme de livres : par exemple, une enquête ampélographique de 1804 où on a récupéré les données des archives de l’Aveyron. Les principaux ouvrages sont, en général, des écrits de sociétés centrales d’agriculture, de membres de comices, de notables locaux, comme Girou de Buzareingues, Amans Rodat, Hippolyte de Barrau, etc..., jusqu’à des ouvrages assez récents : Pierre Galet, qui est une référence incontournable pour tout ce qui a trait à l’encépagement des différentes régions et, régionalement, Guy Lavignac, qui nous a aussi légué des conservatoires avec quantité de variétés, identifiées ou pas, mais qui nous ont permis après de reprendre la base et de retravailler sur ce qui venait de l’Aveyron. L’Aveyron est très intéressant en matière d’anciens cépages. En effet, avant l’arrivée du phylloxéra, datée des environs de 1880 dans les vignobles du nord du département, on comptait à peu près 20 000 ha de vignes. En 1950, avant les grandes gelées de 56, il en restait encore 9 000. Aujourd’hui, quand on met bout à bout tous les vignobles de l’Aveyron, y compris du sud Aveyron, on est à moins de 1000 ha. C’est donc une diminution impressionnante. Mais ces vieilles vignes qui ont disparu ont laissé des vestiges. L’Aveyron est un important lieu de passage, depuis le Haut Moyen Âge, depuis le début des pèlerinages à Saint-Jacques-de-Compostelle où les gens venaient de toute l’Europe et passaient par quelques goulots d’étranglement : l’Abbaye de Conques avait — on en parlait tout à l’heure — un rôle prépondérant dans la mise en place du vignoble de Marcillac ; tous les vignobles de l’Aveyron ont été implantés sur des points de passage importants des pèlerins de Saint Jacques. Donc par ces circulations, il arrivait des cépages du nord de la France qui s’arrêtaient là, des cépages espagnols qui remontaient. On a eu ainsi de véritables « migrations de cépages », ce qui a rapidement donné lieu à une palette variétale très importante.

Lors des différentes déprises, de nombreuses parcelles laissées en place n’ont pas été arrachées, ce qui n’est pas le cas pour des vignobles à forte activité économique, où l’on arrache pour replanter. Quand on abandonnait pour ne pas replanter, on n’arrachait pas : cela aurait été de l’argent perdu, surtout sur des vignobles en pente ou en terrasses où il aurait fallu un travail considérable sans aucune contrepartie. Il y a donc eu beaucoup de parcelles abandonnées non arrachées. On en retrouve encore aujourd’hui des vestiges, comme des lianes qui montent dans les arbres, par exemple.

On a retrouvé quelques parcelles anciennes très riches qui ont été inventoriées : avec 30 ou 40 cépages par parcelle, ce n’est pas un exercice facile. On a aussi retrouvé, mais cela devient rare, quelques parcelles franches de pied, dans des situations bien particulières pré-phylloxériques. Je vous parle de trois ou quatre parcelles maximum : il s’agit de sites humides qui ont permis aux souches de résister un peu au phylloxéra, ou plutôt empêché le phylloxéra de se développer. Donc, on a retrouvé quelques pieds pré-phylloxériques survivants, qui nous ont permis de confirmer l’encépagement d’avant phylloxéra.

Un autre point important, c’est que l’Aveyron reste un pays viticole, et qu’il y a un certain nombre de variétés typiquement aveyronnaises auxquelles les vignerons sont attachés. Elles ont des noms qui chantent parfois un peu, et les vignerons en connaissent une partie. Le négret de Banhars, ou le mouyssaguès sont connus des vignerons sous diverses appellations et ils y tiennent, d’où des replantations régulières malgré des difficultés à planter des cépages qui ne sont pas inscrits au catalogue. On trouve par exemple du négret de Banhars sous le nom de négrette à Estaing. Ce sont deux cépages qui n’ont rien à voir mais la négrette est un cépage connu et inscrit, alors que le négret de Banhars était absolument inconnu et non-inscrit au catalogue. Pour contourner un peu les difficultés administratives, des producteurs ont autrefois planté en toute connaissance de cause du négret de Banhars sous le nom de négrette, ça n’a posé aucun problème. Tout ça évidemment vient du fait que les vignerons sont passionnés.

Les réalisations

De grosses campagnes d’identification dans les anciens conservatoires ont eu lieu. On a récupéré dans la collection nationale tout ce qui provenait de l’Aveyron. Depuis 1995, plus de 150 parcelles, anciennes ou récentes, de toutes les zones aveyronnaises, ont été prospectées : parcelles, friches, repousses, on peut les appeler comme on veut. Point culminant en 2005 : sur deux jours, une mission importante, avec trois grands ampélographes en activité aujourd’hui, Louis Bordenave, Jean-Michel Boursiquot et Thierry Lacombe, a inventorié et expertisé le maximum de parcelles préalablement repérées et où une centaine de cépages différents ont été observés. Ces expertises avaient entre autre pour but d’obtenir la réhabilitation du négret de Banhars puisqu’il était toujours appelé négrette et que personne ne voulait le reconnaître. Depuis, six conservatoires ont été réalisés dans l’Aveyron, et certains cépages repérés ont pu alimenter d’autres conservatoires nationaux. C’est l’intérêt de travailler en réseau : on a entré des accessions de vieux gamay dans le conservatoire de gamay du Beaujolais, par exemple. On a trouvé des cépages très divers comme le feunate ou de nombreux autres, et certains sont allés rejoindre la collection nationale et d’autres conservatoires régionaux.

À partir de 2004, nous avons mis en place une nouvelle collection régionale, aujourd’hui riche de plus de 300 cépages et constamment alimentée depuis 2004 avec tout ce qui peut être retrouvé d’original sur les différentes parcelles de la région, et en particulier de l’Aveyron. Puis, étape suivante après la remise en conservatoire, on a commencé à évaluer certaines anciennes variétés ; le Saint-Côme blanc et le négret de Banhars ont été inscrits au catalogue officiel et ainsi reconnus officiellement comme cépages autorisés à la culture. Le catalogue est un document administratif très compliqué.

Alors, qu’a-t-on retrouvé ? J’ai classé les cépages en deux catégories. Les cépages « originaux », dont on peut admettre une origine dans l’Aveyron ou alentour, qu’on n’a pas (ou très peu) retrouvés ailleurs et qui sont signalés dans la bibliographie depuis assez longtemps. À partir de là, on va avoir suffisamment d’éléments, à moins d’être démentis par d’autres découvertes plus tardives, pour dire que ce sont des cépages autochtones de l’Aveyron, originaux, modestes, nouvelle appellation pour les cépages anecdotiques que je trouve assez sympathique. Il y a aussi les cépages qui viennent, soit de régions proches dont ils sont considérés comme originaires, soit parfois de très loin. En blanc, on en a retrouvé quatre dans la première catégorie de ces «originaux» : le Saint- Côme, le fel, le bermadou et le noual, qui est également présent sur une partie du Lot. Dans la deuxième catégorie, on a retrouvé le gouais ou la folle bBlanche par exemple, mais aussi d’autres, connus de longue date: chenin, mauzac, ondenc, clairette, etc... Il y en a plus de cent et j’ai cité les principaux, mais on pourrait parler du trousseau gris, par exemple, qu’on retrouve de façon anecdotique en Charente, qui était connu sous le nom de figous et est en fait la forme grise du Trousseau, identifié par l’ampélographie puis confirmé par la génétique. Citons aussi des cépages des régions de l’est, comme le chardonnay, des cépages plus girondins comme le sémillon, le sauvignon blanc, ou encore des cépages étrangers comme le listan ou le bobal qui ont été retrouvés dans l’Aveyron et sont espagnols. A l’opposé, le colombard, parfois cité, n’y a jamais été retrouvé. Quant aux cépages mystérieux cités dans la bibliographie et recherchés en vain, «ramondenc », « blanc de la gueuse », «saint-Clair », etc..., on a parfois quelques hypothèses, mais qui n’ont pas pu être confirmées. Il est parfois très difficile de relier des éléments bibliographiques et la réalité génétique, d’autant plus que certaines variétés ont été perdues. En rouge, on est beaucoup plus riches en cépages originaux puisque l’Aveyron a été de tout temps en majorité à encépagement rouge. Les cépages originaux recensés sont au nombre de 10, et ont pour nom : le mouyssaguès, le négret de Banhars, le négret de la Canourgue, le brunq noir, le malpé, le baral, le moural, le tarabassié, le valdiguié pissaïre et le négret du Tarn. Si on considère le fer sServadou comme modeste, ceux- là sont très modestes.

On a retrouvé des cépages originaires des vignobles alentour : le fer, forcément, qu’on l’appelle mansois, pinenc ou braucol ; le prunelard, originaire de Gaillac et de la vallée de la Garonne, que l’on a retrouvé sur deux très anciennes parcelles de la zone ; le castets ; le durif, qui vient plutôt du Dauphiné; enfin des cépages communs à beaucoup de vignobles, comme le jurançon noir, la mérille, le duras de Gaillac, la négrette, le cabernet franc. Il y a aussi un certain nombre de cépages d’importation : cépages languedociens (carignan, aramon), un tout petit peu de pPnot noir et de gamay, le morrastel qui est un cépage espagnol qu’on a retrouvé partout, dans l’Aveyron, le Gers... ; de nombreux cépages très anecdotiques, mais qui viennent d’ailleurs, par exemple le portugais bleu, cépage autrichien ! ; le frankenthal, qui vient de l’est de l’Europe, et quelques cépages mystérieux comme le menut sur lequel une longue enquête va faire l’objet d’un article dans les mois qui viennent dans le Progrès agricole et viticole. En effet, des vignerons nous ont désigné sous le nom de menut des cépages trouvés dans de vieilles parcelles qui semblent correspondre un peu, par leur comportement général, à des descriptions présentes dans quelques références bibliographiques, et qui se sont avérés être du prunelard et du cabernet-sauvignon, et cela à deux endroits différents. Il est probable que sous ce nom- là (menut signifie petit et désigne probablement un comportement : petit producteur, petite grappe, etc.) aient pu se cacher plusieurs variétés. Pour le prunelard et le cabernet-sauvignon, on en est à peu près sûr, ce qui a aussi participé au fait que le prunelard soit intégré dans la réforme de l’AOC Marcillac, rejoignant ainsi le cabernet-sauvignon qui figurait déjà dans le décret. Pour en revenir au menut, si quelqu’un pouvait m’en montrer d’autres souches, je serais très content !

Les conservatoires.

Quel est l’objectif des conservatoires ? Les conservatoires sont des parcelles extrêmement importantes qui sont régies par un protocole assez rigoureux. Pour identifier les cépages, nous avons aujourd’hui les moyens d’avoir des réponses par des tests génétiques et nous pouvons ainsi introduire dans les conservatoires un maximum d’individus dont on est sûrs de l’identité. L’objectif est également de ne pas rentrer les viroses graves de la vigne dans des parcelles réservées par nature à la conservation de matériel végétal. On fait donc des tests sanitaires en éliminant les origines virosées. Éventuellement, on peut « déviroser » des cépages : c’est très long et coûteux, mais si on ne trouve pas l’équivalent sain d’une variété menacée, on entreprend des travaux d’assainissement. C’est un volet en cours pour un certain nombre de variétés anecdotiques. On garde évidemment la traçabilité de toutes les origines introduites en collection, les parcelles conservatoires étant intégrées dans un réseau de surveillance et de traçabilité nationale.

Bien sûr, l’objectif est de garder un maximum de diversité, ce qui n’est pas toujours possible faute de vieilles parcelles ressources dans les vignobles . On implante soit un cépage témoin, soit un représentant qu’on connaît bien, dans la parcelle conservatoire, pour avoir une référence technique, dont on peut se servir ensuite pour démarrer des études, faire quelques suivis agronomiques et des petites vinifications. On peut également utiliser le matériel qu’on a mis de côté pour réimplanter soit des parcelles d’étude, soit repartir sur une multiplication si le cépage intéresse les vignerons. Mais à partir du moment où il est inscrit au catalogue, lui-même régi par des protocoles qui sont largement en train de s’assouplir, ça devient de plus en plus facile. Concrètement, qu’est-ce qu’on a aujourd’hui comme conservatoires dans l’Aveyron ?

Il y a d’abord le conservatoire du fer sServadou, réparti sur deux parcelles (une à Gaillac, dont c’est quand même l’un des cépages emblématiques, et l’autre à Goutrens, près de Marcillac, avec cent vingt origines au total). Il y a ensuite le conservatoire du mouyssaguès, où sept origines saines sont conservées à Entraygues, ainsi qu’une vingtaine d’origines de négret de Banhars, également à Entraygues. Pour le chenin, qui était très anciennement présent dans la zone d’Entraygues, on a dix-sept origines en collection à Entraygues, et on a ensuite démarré un travail de sélection sur le chenin vraiment originaire d’Entraygues. Quant au saint- Côme blanc, un des quatre cépages blancs autochtones de l’Aveyron, on a eu du mal à en retrouver quelques pieds, mais par miracle quelques-uns n’étaient pas virosés : sur vingt souches marquées, quatre seulement n’avaient pas de virose. Le fel blanc, cépage aussi retrouvé à plusieurs endroits, est conservé à Salles-la- Source, avec sept origines.

Pour résumer les cépages importants, on ne peut évidemment pas parler de l’encépagement de l’Aveyron sans parler du fer servadou dans la zone de Marcillac, même si on en a retrouvé partout. Mais on a aussi retrouvé le mauzac blanc, sous différentes formes, un peu partout dans les vignobles de l’Aveyron, et le chenin, plus précisément sur Entraygues et Estaing, mais un petit peu aussi sur de vieilles parcelles de Marcillac et beaucoup d’autres... Il faut ajouter beaucoup de cépages exogènes, et les quatorze, blancs et rouges, plus que modestes...— timides, ça vous va ?—, cépages que l’on peut vraiment considérer comme autochtones, jusqu’à preuve du contraire.

Pour terminer, voici par exemple les travaux menés sur quelques cépages, pour vous donner une petite idée.

Le fel blanc est un cépage non-inscrit, retrouvé autour d’Estaing et de Marcillac. On dispose de très peu de matériel, avec sept origines et une parcelle plantée récemment. C’est un cépage fertile, productif, à grosses grappes serrées, peu sensible au botrytis et donnant des produits très élevés en équilibre, avec beaucoup de degré, beaucoup d’acidité et une maturité assez spectaculaire. On l’a testé en blanc sec : ça donne des produits assez riches, mais ce n’est pas un cépage aromatique. Peut-être des vins blancs secs à vieillir ? On est aussi en train de l’essayer en blanc liquoreux, mais pour l’instant les vignes d’essai sont très jeunes. On l’a vendangé la semaine dernière, on verra plus tard le résultat.

Le saint-Côme qui porte le nom de la localité où nous sommes aujourd’hui, est inscrit au catalogue. On l’a retrouvé sur le nom de rousselou à Estaing, Nauvialle, Saint-Christophe et en plusieurs autres endroits. On a donc admis la synonymie officielle de rousselou pour saint-Côme. C’est un cépage issu du gouais, parti de l’est de l’Europe, voire de l’ancienne Yougoslavie, et redescendu jusqu’au sud du Portugal, très important au niveau de la génétique en France, qui a donné par croisement peut-être la moitié des cépages français. Très important dans l’encépagement, le gouais s’est propagé pendant tout le Moyen Âge en laissant des descendants partout, dont le saint-Côme. On a très peu de matériel sain en matière de cépage saint-Côme, mais il est maintenant bien protégé, avec une parcelle d’étude. C’est un cépage précoce, qui fait des vins très intéressants, équilibrés avec des arômes fruités.

Le noual, cépage de la vallée de l’Aveyron, dont on a retrouvé jusqu’à l’an dernier de très anciennes repousses, y compris sur d’anciennes dépendances d’un château, est un cépage qui s’est promené. On l’a retrouvé sous le nom de mansois blanc ou mansois gris dans l’Aveyron, mais il n’a absolument rien à voir avec le fer servadou. Il est en expérimentation à Cahors et nous allons implanter l’an prochain pour le vignoble de Cahors un conservatoire qui va regrouper les origines retrouvées à Cahors et dans la région. Ce cépage est très productif.

Le bernadou, cépage dont on ne sait pas grand-chose, a été uniquement retrouvé en collection, où il avait été ramené par Guy Lavignac sous ce nom, depuis la zone de Nauvialle. On a peu de données, il est assez productif. En voilà encore un autre à expérimenter ! Parmi les rouges, le mouyssaguès a été retrouvé partout : autour de Marcillac, d’Estaing, d’Entraygues, et même hors zone viticole, dans des vieilles vignes. Connu sous un certain nombre de synonymes en Aveyron, il est signalé depuis assez longtemps et on ne le connaît pas du tout ailleurs. Le négret de Banhars, retrouvé plutôt du côté de Salles-la-Source mais surtout d’Estaing et d’Entraygues, est encore en culture à Estaing où il entre dans les termes du décret d’Estaing, et où il a remplacé la négrette sous laquelle il s’est caché pendant un moment. Ce cépage présente des difficultés de culture en raison de sa grappe très compacte et donc très sensible à la pourriture. Par contre, il donne des rosés intéressants. C’est aujourd’hui l’optique qu’ils prennent à Estaing : cela donne des rosés très fruités.

Le moural, cépage présent dans la bibliographie, avait complètement disparu. Non présent en collection, il a été retrouvé dans deux parcelles pré-phylloxériques, où une souche a été désignée sous ce nom par le vigneron. C’est un cépage très peu coloré. On s’est rendu compte ensuite par la génétique qu’il avait essaimé un peu : on a retrouvé quelques cépages apparentés au moural dans d’autres zones.

Le négret de la Canourgue, plutôt du côté d’Estaing, est un cépage très précoce, qui donne des vins qui, à côté du pinot et du gamay plantés dans des zones tardives, donnaient des petits vins rouges fruités.

Je n’ai pas expérimenté le tarrabassié, plant très productif et très vigoureux, que je ne connais pas trop pour l’instant. Le malpé et le baral sont deux cépages qui ont souvent été confondus, alors que c’était deux variétés différentes. Ils sont assez productifs et assez riches en couleur. On ne connaît encore pas trop leur aptitude à la vinification

Le valdiguié pissaïre a été retrouvé à quelques exemplaires. Il doit son nom à sa ressemblance avec le valdiguié, dont il serait un parent (peut-être issu d’un semis). Son extrême productivité, peut-être supérieure à celle du valdiguié, lui a probablement valu son surnom de « pissaïre », qui se passe de commentaire. Il en a été retrouvé quelques pieds dans l’Aude. C’est peut-être le moins autochtone du lot.

Le brunq noir, récupéré dans la collection de Vassal, retrouvé une seule fois sous ce nom du côté d’Estaing, est un cépage peu coloré, mais on ne connaît rien de lui.

Le négret du Tarn est un cépage retrouvé uniquement du côté de Nauvialle par Guy Lavignac, et jamais rencontré après. Présent en collection mais, disparu du vignoble, c’est probablement un cépage très anecdotique qui se cachait en mélange derrière d’autres.

ll reste du travail : il y a encore quelques parcelles, on a encore inventorié cette année des repousses, et on a trouvé du noual, quelques jurançons et d’autres cépages anecdotiques. Mais une vie ne suffirait pas pour sauver les derniers représentants de l’encépagement ancien qu’on n’aurait pas encore en collection. Aujourd’hui, un des objectifs est d’arriver à récupérer ces anciennes variétés qui se seraient perdues si elles n’avaient pas été récupérées à différentes époques, parfois très récentes (je pense au moural, au tarrabassié). Sans ce travail de recherche, certains cépages auraient complètement disparu, sachant que dans les parcelles où on est passés il y a quelques années, même les repousses aperçues alors ont disparu. Il n’y a plus rien du tout de vivant.

Questions à la suite de l’exposé d’Olivier Yobrégat :

Salle (Jean Rosen) : Chaque cépage est-il soumis à une expérimentation de vinification systématique ?

O. Y. : Non. Quelques mesures préliminaires sont faites en termes de maturité, parce que dans la collection variétale dont je vous ai parlé où il y a 300 cépages, ou dans la collection nationale du Domaine de Vassal, chaque cépage n’est représenté en général que par une accession, ce qui fait six souches. On peut vinifier six souches pour faire de toutes petites vinifications qui permettent d’approcher de loin le potentiel d’un cépage. Aujourd’hui, on ne se lance pas dans la vinification à tout va, parce que c’est énorme, ça ferait des centaines et des centaines de variétés. Par contre, on s’astreint à faire, par pools de vingt, trente cépages, des mesures, de temps en temps, pour avoir une approche de l’équilibre, de la maturité et de la qualité, pour pouvoir dire si c’est productif, si c’est tardif, ou acide, ou pas acide, connaître le comportement de base.

Salle (vigneron) : Est-ce qu’il est possible d’avoir des greffons ou des descendants pour les greffer ?

O. Y. : Sous certaines conditions, oui. Il y a deux formalités. D’abord, le fait que l’on est tenus par une charte des ressources génétiques qui encadre la gestion du matériel végétal, mais il n’y a pas de problème : c’est une simple convention à signer de votre part. Ensuite, il y a la réglementation, qui rend compliquée la plantation de cépages non inscrits au catalogue. Enfin, selon les besoins en particulier pour des parcelles d’expérimentation, il n’y a pas forcément de bois disponibles chaque année.